Avant-projet de décret relatif à la pêche fluviale: l’avis de l’Union
L’Union des Villes et Communes de Wallonie a pris connaissance de l’avant-projet de décret relatif à la pêche fluviale, à la gestion piscicole et aux structures halieutiques avec un grand intérêt. Celui-ci appelle quelques remarques et commentaires, que l’UVCW vient de porter à la connaissance de Benoît Lutgen, Ministre des Travaux publics, de l'Agriculture, de la Ruralité, de la Nature, de la Forêt et du Patrimoine. L’Union espère ainsi que ces quelques éléments seront pris en compte lors de l’élaboration du projet de décret.
Concernant son champ d’application
L’article 1er établit le champ d’application du décret. Il semble ressortir de celui-ci que l’organisation du droit de pêche s’étend sur l’ensemble des cours d’eau et points d’eau à l’exception des pièces d’eau qui ne permettent pas aux poissons de circuler librement entre celles-ci et les cours d’eau. L’Union des Villes et Communes de Wallonie s’étonne de ce champ d’application exagérément large qui, de par le nouveau régime sur le droit de pêche, obligerait les communes à organiser le droit de pêche sur tous les cours d’eau sans s'assurer que la pêche peut pratiquement y être exercée.
Il ne semble pas opportun d’obliger une quelconque autorité à organiser le droit de pêche lorsque celle-ci est impossible ou lorsque cet exercice entraîne un dommage pour une autre fonction de la rivière, comme notamment l’aspect biodiversité: la quiétude étant un des éléments utiles pour le bon fonctionnement des écosystèmes. Il serait plus pertinent, selon l’UVCW, de restreindre ce champ d’application aux cours d’eau où la présence de poissons est suffisante et où le milieu récepteur est apte à supporter un certain nombre de passages pour permettre ce loisir. Il est donc rationnel de ne pas obliger les communes à organiser la pêche sur des cours d’eau dont elles n’ont pas la maîtrise pleine et entière ou si celle-ci est rendue impossible. Plus fondamentalement, la pêche n’est pas la seule fonction des cours d’eau. Tout comme pour la forêt, plusieurs fonctions peuvent être remplies par les cours d’eau. Il appartient dès lors aux propriétaires de déterminer ou non si le droit de pêche doit être ou non organisé.
Le champ d’application ratione loci particulièrement vaste de ce décret nous laisse également sceptique lorsqu’il s’agit de lutter efficacement contre la délinquance environnementale. Le risque de voir des dépôts de déchets s’amonceler sur des (très) longs parcours de pêche n’est pas exclu. De même, le danger de détérioration de la nature environnante causée par le passage de véhicules ou par le matériel de pêche ne peut être écarté. L’Union insiste donc également sur le fait que ce décret ne devra en aucune manière obliger les communes à entreprendre des travaux ou à réaliser des aménagements particuliers pour rendre accessible un cours d’eau.
Concernant l’organisation du droit de pêche et dérogations
L’article 6 du décret soulève plusieurs questions. Il apparait qu’en théorie les communes auront l’obligation d’organiser elles-mêmes le droit de pêche dans les cours d’eau autres que les voies hydrauliques. Elles pourront néanmoins déléguer l’organisation de ce droit de pêche à la fédération de la pêche locale ou aux sociétés de pêche qui y adhèrent. Un premier constat s’impose: peu de communes, voire aucune, n’ont, a priori, les ressources suffisantes pour l’organiser elles-mêmes. Elles délègueront dès lors cette obligation aux sociétés de pêche, mais il n’est pas certain que ces dernières accepteront cette délégation pour tous les cours d’eau. L’UVCW s’interroge donc sur le sort réservé aux cours d’eau pour lesquels les communes ne peuvent pas organiser le droit de pêche elles-mêmes et dont la fédération de la pêche refuserait l’organisation par manque d’intérêt ou de moyens humains pour ce faire.
Au-delà de ce problème pratique, une question d’autant plus importante se pose: que signifie "organiser le droit de pêche" ? Le projet de décret n’est pas à cet égard suffisamment précis. Cette notion recouvre-t-elle seulement la réalisation de parcours de pêche et des plans piscicoles et halieutiques ? La commune remplirait-elle ses obligations en interdisant la pêche sur un cours d’eau ? La définition de cette notion est primordiale pour sa mise en œuvre.
De plus, l’Union des Villes et Communes de Wallonie estime nécessaire que la demande de dérogation prévue au paragraphe 2 soit suspensive de l’obligation d’organiser le droit de pêche. En effet, la commune sur base de l’article 135 de la nouvelle loi communale peut prendre un arrêté de police afin de maintenir l’ordre public. Cependant, cet article ne permet pas à la commune de pouvoir prendre des mesures urgentes lorsque l’environnement est en danger. Il s’avère dès lors essentiel que, dès l’introduction de la demande de dérogation, la commune puisse interdire la pêche, et ce pour des raisons environnementales. L’Union s’inquiète en effet du délai qu’il faudra à l’autorité pour se prononcer sur cette demande. Ce délai pourrait empêcher la protection d’un milieu aquatique.
Par ailleurs, sur le plan des principes, il semble inopportun qu’une dérogation doive être introduite auprès de l'Administration aux motifs qu’il y a un risque pour la sécurité ou la santé publique. La sécurité, la salubrité publique et la tranquillité sont des compétences communales en vertu de l’article 135 de la nouvelle loi communale. Cet article reste de la compétence de l’Etat fédéral et ne peut donc être limité ou modifié par un décret régional. Si la décision de la commune parait inopportune à un opérateur, il s’agit pour lui d’introduire une action en justice et de démontrer que la mesure est illégale.
Concernant la taxation communale
L’UVCW s’interroge également sur la constitutionnalité de l’article 9 et, plus particulièrement, sur la compétence de la Région wallonne pour limiter l'autonomie fiscale des communes via un décret. En effet, conformément à l'article 170, par. 4, de la Constitution, c'est par une loi que des exceptions peuvent être apportées au pouvoir fiscal des communes. Aussi, jusqu'en 2001, la Cour d'Arbitrage (devenue, la Cour constitutionnelle) a toujours considéré que le législateur visé par l'article 170, par. 4, restait le législateur fédéral.
Depuis la modification en 2001 des articles 6 et 7 de la loi spéciale du 8 août 1980 (régionalisant le droit communal et l'ensemble de la tutelle, sauf certaines exceptions), considérant que c'est la seule compétence relative à l'organisation et aux compétences des communes (visée à l'art. 162 de la Constitution) qui a été transférée, le pouvoir de limitation de la compétence fiscale des communes – qui ne relève pas de l'article 162 de la Constitution – n'a pas été transféré aux Régions et demeure dès lors une compétence du législateur fédéral.
La position de la Cour d'Arbitrage n'a pas été modifiée à cet égard. Selon la Cour, s'il est vrai qu'en utilisant les termes "par la loi" dans l'article 162 de la Constitution, le Constituant a uniquement voulu exclure cette matière de la compétence du pouvoir exécutif, de sorte que le législateur spécial peut attribuer aux Régions la compétence de régler cette matière, un tel transfert de compétence ne peut se produire qu'à la condition que cette attribution soit expresse et précise. Or, l'on ne trouve nulle part mention d'une telle attribution expresse et précise aux Régions du pouvoir de limiter l'autonomie fiscale communale.
Et si la loi spéciale du 13 juillet 2001 a entendu attribuer aux Régions une compétence générale quant au cadre juridique des provinces et des communes, il n'en reste pas moins qu'il ressort clairement des travaux préparatoires de la loi spéciale du 13 juillet 2001 que le législateur n'avait à l'esprit que le transfert des compétences que l'article 162 de la Constitution donne au législateur, les travaux parlementaires ne faisant mention que de cette disposition, sans jamais évoquer l'article 170 de la Constitution.
Si l'on voulait invoquer les "pouvoirs implicites" (L. sp. 8.8.1980, art. 10) pour reconnaître aux Régions la compétence de limiter le pouvoir fiscal des communes, l'on se heurterait à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qui refuse leur application au pouvoir fiscal communal.
Concernant la procédure d’approbation des plans piscicoles et halieutiques
L’article 38, par. 5, organise la procédure d’approbation des plans piscicoles et halieutiques. Cet article dispose notamment qu’ "à l’expiration du délai visé au paragraphe 4, en cas d’absence de décision, la personne visée au paragraphe 1er adresse, par courrier recommandé, un rappel à la Direction générale opérationnel de l’Agriculture, des Ressources naturelles et de l’Environnement". Outre le fait que cette réforme impose aux communes une charge administrative conséquente, l’obligation d’adresser un rappel à l’Administration par courrier recommandé alors que celle-ci est défaillante nous semble totalement disproportionnée. Par ailleurs, même si ce rappel est envoyé, l’absence de contrainte à l’égard de l’Administration ne garantit pas aux personnes visées à l’article 38 par. 1er, qu’elles auront une décision. Dès lors, elles devront à nouveau engager des frais pour réintroduire leur demande avec éventuellement encore un rappel à effectuer. Il semble important que l’Administration soit contrainte à donner son accord dans un délai donné sans faire peser le poids de ses éventuels dysfonctionnements sur les demandeurs et notamment sur les communes.
Concernant la représentation des pouvoirs locaux dans les commissions
De manière générale, l’avant-projet de décret prévoit une représentation dans les diverses commissions des acteurs de la pêche, sauf des pouvoirs locaux. Il semble donc essentiel à l’Union des Villes et Communes de Wallonie que les communes, titulaires de droits de pêche, puissent se faire entendre.