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Mis en ligne le 23 Décembre 2019

Plusieurs communes se posent la question de savoir si l’un ou l’autre bien de leur patrimoine entre ou non dans le domaine public.


Le domaine public et le domaine privé

Une première distinction doit être opérée. Il s’agit de la distinction existante entre le domaine public et le domaine privé de la commune.

Ainsi, un bien communal peut être classé dans l’une ou dans l’autre catégorie. La catégorie « domaine public » a été élaborée afin de permettre un régime plus protecteur des biens publics.

Toutefois, tous les biens publics ne nécessitent pas la même protection. On va donc considérer que tous les biens appartenant à la commune entrent dans son domaine privé sauf ceux entrant expressément dans son domaine public. C’est en ce sens que la réforme du code civil tranche également. La base légale de cette affirmation se trouvera dans l’article 3.45 du nouveau livre 3 du code civil dès son entrée en vigueur.

L’exercice suivant sera alors de déterminer si un bien appartient au domaine public de la commune et quel est son régime juridique que nous avons, pour rappel, qualifié de plus protecteur et que nous qualifions donc de « dérogatoire » au régime commun.


Entrée dans le domaine public

La réponse à la question de savoir si un bien appartient ou non au domaine public n’est pas des plus évidentes. Cet article n’a pas la prétention d’y répondre, mais permet uniquement à l’agent communal devant traiter un dossier (ou tout autre praticien) de disposer de pistes de réflexion[1].

Il est très important de comprendre que le juge disposera toujours du dernier mot en la matière. Ainsi, la commune sera amenée à trancher dans un premier temps de la question de savoir si un bien dont elle dispose appartient ou non à son domaine public et ce n’est qu’en cas de litige (le plus souvent sur la procédure appliquée au bien) qu’un juge pourrait être amené à la contredire. L’on dispose à ce titre de décisions de jurisprudence assez variées permettant de dégager une liste de biens ayant été qualifiés comme appartenant au domaine privé ou au contraire, comme n’en faisant pas partie[2].

Le cas le plus fréquent est celui de la vente d’un bien appartenant au domaine communal. En effet, si le bien appartient au domaine public, il peut être vendu sans être au préalable déclassé. Cette absence de déclassement pourra invalider toute la procédure de vente qui s’ensuivra.  De même, l’attribution d’autres droits réels que celui de la propriété pourrait être limitée par l’appartenance du bien au domaine public même si nous nuancerons cela par la suite. L’opération de classification est donc fondamentale.

Il existe deux éléments de base dégagés par la jurisprudence afin de classer un bien public.
Il s’agit :

  • De la décision d’affectation initiale du bien
  • De l’usage qui est fait du bien par le public en général

Font partie du domaine public les biens affectés à l’usage public par une décision de l’autorité publique ou par le fait de la nature. Cette première condition fait peu débat. Il est admis que le bien doit être décrété utile par une autorité publique qui le détient (par exemple, la création d’une voirie,…) ou que le bien doit faire l’objet d’une affectation naturelle. Dans ce dernier cas, on parle de domaine public naturel, visant les biens qui par des caractéristiques physiques sont par nature affectés à l’usage de tous. L’autorité peut par contre délimiter le domaine public naturel, mais ne doit pas l’affecter expressément puisqu’il l’est par nature (exemple : les rivages de la mer,…)

Le deuxième élément de définition du domaine public vise son utilisation effective. C’est à ce niveau que la jurisprudence n’est pas unanime. Ainsi, il est admis que le bien doit faire l’objet d’un usage par tout un chacun. Le bien doit être effectivement affecté à tous.

Cependant, l’on se pose la question de savoir si l’affectation doit être faite indistinctement à l’ensemble des citoyens ou si une affectation plus restreinte, par exemple à un service public, pourrait suffire.

Selon le Conseil d’État[3], « les biens qui font partie du domaine public sont ceux qui servent indistinctement à l’usage de tous ou qui sont affectés à un service public et ont spécialement été aménagés à cet effet …; »

Selon la Cour de Cassation[4], « Un bien appartient au domaine public en raison du fait que, soit par une décision explicite soit par une décision implicite de l’autorité, il est destiné à être utilisé par tous sans distinction de personne; la circonstance que l’autorité n’ait pas encore effectivement donné exécution à cette destination n’y déroge pas tant qu’il n’apparait pas que l’autorité a renoncé à la destination publique », mais plus tard « Un bien appartient au domaine public lorsque, par une décision expresse ou tacite de l'autorité compétente, il est affecté à l'usage de tous ou à un service public; son usage ne peut porter atteinte au droit de l'autorité de le réglementer et de le préserver à tout moment en fonction des besoins et dans l'intérêt de l'ensemble des citoyens »[5]

On le voit donc que la jurisprudence avance trois nuances :

  • Le bien doit être affecté à l’usage de tous, indistinctement.
    Cette conception est la plus restrictive et semble être aujourd’hui abandonnée par la Cour de Cassation
  • Le bien doit être affecté à l’usage de tous ou à un service public et dans ce cas, être spécialement aménagé à cet effet.
    Cette condition restreint la notion d’affectation au service public puisqu’elle implique un aménagement spécifique supplémentaire pour considérer le bien comme semble-t-il « indispensable » à l’exercice du service
  • Le bien doit être affecté à l’usage de tous, ou à un service public, tout simplement.
    Cette conception est récemment mise en avant par la Cour de cassation de manière assez étonnante puisque comme nous l’avons vu, la Cour avait tendance à ne retenir que la conception très restrictive de la notion, à savoir l’affectation indistincte à tout un chacun.

Face à ces quelques éléments de jurisprudence spécialement choisis, mais non exhaustifs, faut-il le rappeler, nous ne faisons que confirmer que les pistes de réflexion sont lancées mais qu’il conviendra au cas par cas de réfléchir à l’affectation concrète d’un bien communal.

Il faudra vérifier si en pratique, l’affectation peut correspondre à un usage large (« par tout un chacun sans distinction ») auquel cas, aucun problème ne survient pour le classer dans le domaine public dès lors qu’une décision d’affectation existe.

Par contre, si cette affectation semble correspondre à la mise à disposition dans le cadre d’un service public, auquel cas, les usagers sont restreints (par exemple, une école, …), il faudra trancher probablement en faveur de l’interprétation la plus récente de la Cour de Cassation, qui semble admettre qu’un bien répondant à ce critère fasse partie du domaine public si de surcroit il est expressément affecté par l’autorité qui le possède. Seules les juridictions belges ou le législateur dans le cadre d’une intervention de sa part pourront nous en dire plus sur la manière dont il faut classer les différents biens. 


Régime juridique

L’on enseigne traditionnellement qu’un bien appartenant au domaine public est insaisissable, imprescriptible et inaliénable[6].

Le bien est insaisissable dans un premier temps, et ce, dans les limites de ce que prévoit l’article 1412bis du code judiciaire. En effet, en principe, le bien est indispensable aux citoyens, dès lors il ne peut être saisi, toutefois, une série d’exception sont prévues par l’article précité.

Le bien appartenant au domaine public est imprescriptible. Il ne peut disparaitre par l’effet de la prescription. Attention toutefois, en matière de voirie, une servitude vicinale de passage, quel que soit le statut de son assiette, pouvait, auparavant, par défaut d’usage, disparaitre par l’effet du temps. Cette règle n’existe plus depuis 2011. Toutefois, il est encore possible, l’Atlas des voiries n’étant pas encore mis à jour, de constater des disparitions échues lors de l’entrée en vigueur de la modification législative supprimant la possible disparition par non usage[7].

Enfin, le domaine public est inaliénable. Cette règle implique qu’aucun droit réel ne peut être constitué sur un bien appartenant au domaine public. Cette affirmation doit pourtant être fortement nuancée. 

Il a tout d’abord été question d’évolutions notoires dans la jurisprudence :

  • Selon la Cour de Cassation[8], un droit d’emphytéose a pu être admis sur le domaine public, à la condition qu’il ne porte pas atteinte à son droit de réglementer cet usage à tout moment.
  • Le droit de superficie a été admis par un arrêt de cassation du 18 mai 2007 dans la mesure où il ne fait pas obstacle à l’usage par le public du bien

Dès septembre et son entrée en vigueur, le nouveau code civil prévoit d’aller un cran plus loin. En effet, un article spécifique régit le domaine public en ces termes :   « Art. 3.45. Les biens publics appartiennent au domaine privé, sauf s'ils sont affectés au domaine public. Les biens du domaine public ne sont pas susceptibles de prescription acquisitive par une autre personne privée ou publique et ne peuvent faire l'objet d'une accession en faveur de toute autre personne privée ou publique ou de tout autre mode originaire d'acquisition. Toutefois, il peut exister un droit personnel ou réel d'usage sur un bien du domaine public dans la mesure où la destination publique de ce bien n'y fait pas obstacle. »

Le nouveau code civil rappelle certes l’imprescriptibilité de principe des biens mais ouvre la porte à la constitution de droits réels (d’usage, donc exit la vente) et même de droits personnels (comme le bail par exemple) à la condition que ces droits ne nuisent pas à la destination publique du bien. Ces termes limitent a minima les modalités d’octroi et il nous semble qu’il doit en être déduit que la constitution d’un tel droit ne reste admise que pour autant que le droit d’usage qui appartient à tous sur le domaine public ne soit pas anéanti ni diminué de manière disproportionnée à tel point qu’une désaffectation préalable aurait dû être sollicitée.

Toute la question des autorisations domaniales doit enfin être rapidement abordée[9]. Il n’est pas question de développer ce point spécifique ici, mais simplement de rappeler que la commune reste libre d’octroyer de manière unilatérale (par un permis de stationnement du Bourgmestre ou par une permission de voirie du collège) ou de manière bilatérale (par voie de convention de concession domaniale) une autorisation d’occupation précaire du domaine public. Ce type d’autorisation respecte la destination première du bien et même si elle en restreint l’usage, elle se justifie par la possibilité qu’ont les communes de revenir sur leur décision à n’importe quel moment pourvu que l’intérêt général (par exemple, la conservation du domaine public, la sécurité publique, etc) le requiert[10]. Ces autorisations n’empêchent donc jamais les autorités communales de faire usage de leurs pouvoirs de gestion du domaine public.   

 

Article mis à jour au 21 mai 2021.

 



[1] Il existe des ouvrages de doctrine consacrés entièrement à la matière : voy. D. Renders et B. Gors, Les biens de l’administration, Bruxelles, Bruylant, 2014.

[2] Voir, D. Renders et B. Gors, Les biens de l’administration, Bruxelles, Bruylant, 2014 ; D. Lagasse, Droit administratif spécial –Les domaines public et privé – La voirie, P.U.B., 2002-03.

[3] CE n°202736 du 2.4.2010

[4] Cass. 17.10.2014, www.juridat.be

[5] Cass. 15.3.2018, www.juridat.be

[6] D. Renders et B. Gors, Les biens de l’administration, Bruxelles, Bruylant, 2014 ; D. Lagasse, Droit administratif spécial –Les domaines public et privé – La voirie, P.U.B., 2002-03.

[7] Voyez notre article sur ce point : http://www.uvcw.be/articles/33,101,37,37,7546.htm.

[8] cass. 15 mars 2018, www.juridat.be.

[9] voyez: https://www.uvcw.be/articles/3,30,2,0,3341.htm

[10] CE, n° 81.700 du 6 juillet 1999 ; pour autant qu’une motivation adéquate soit invoquée.

 

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Date de mise en ligne
23 Décembre 2019

Auteur
Ambre Vassart

Type de contenu

Q/R

Matière(s)

Mobilité Gestion du patrimoine Voirie/travaux
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