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Mis en ligne le 1er Décembre 2007

La question des funérailles des personnes indigentes est à l’ordre du jour depuis quelque temps: des associations de sans-abri se mobilisent sur ce thème, un groupe de travail réunit des responsables communaux qui veulent confronter leur manière d’aborder ce problème… Et une publication de la Fondation Roi Baudouin vise à faire le point sur les bonnes pratiques en la matière.

La Fondation a procédé pour cela à un coup de sonde, par définition non exhaustif, auprès d’une série d’acteurs concernés: administrations communales de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre, travailleurs sociaux, personnes isolées et marginalisées… Que faut-il en retenir?

Qu’est-ce qu’un indigent?

Lorsque quelqu’un décède sans que personne ne prenne l’initiative d’organiser ses funérailles ou n’ait les moyens financiers de les prendre en charge, c’est à l’autorité communale de le faire à ses frais, pour des raisons de salubrité publique. C’est ce que stipule l’article 15 de la loi du 20 juillet 1971 sur les funérailles et les sépultures. La régionalisation de la loi communale n’a guère modifié la donne puisque le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation a repris mot pour mot le texte de la loi de 1971. Faute de plus amples précisions, la notion de "personne indigente" ou de "funérailles décentes" continue donc à permettre diverses interprétations.

Un indigent est, en principe, une personne sans ressources ou disposant de ressources insuffisantes pour couvrir ses besoins élémentaires. Il peut s’agir d’une situation de fait aisément constatable. Mais qu’en est-il de certains allocataires sociaux? Pour la plupart des administrations communales, un chômeur ne peut pas être considéré comme un indigent dans la mesure où il perçoit un revenu. Lorsque le défunt ne résidait pas sur leur territoire, les communes se fondent souvent sur le "certificat d’indigence" délivré par le CPAS de la commune de résidence ou, à défaut, sur une attestation de la direction de la maison de repos. Encore mettent-elles en garde contre l’attitude désinvolte de certains CPAS qui, à la demande des familles, délivrent un tel certificat alors que leur intervention se limitait, par exemple, aux frais médicaux. Elles suggèrent dès lors que le certificat précise que le défunt était entièrement à charge du CPAS [1].

Les choses peuvent encore se compliquer s’il y a de la famille et que celle-ci affirme ne pas avoir les moyens de payer les funérailles. On cite des cas de parents proches qui viennent à l’enterrement en voiture haut de gamme alors qu’ils s’étaient déclarés insolvables. Mais le son de cloche est différent du côté des associations du quart-monde: là, on parle de familles pauvres qui n’osent pas se manifester au moment des funérailles ou acheter une simple gerbe de fleurs, de peur de devoir ensuite payer toute la cérémonie!

Manifestement, le législateur serait bien inspiré de clarifier cette question. En l’absence de réglementation précise, on imagine des solutions de fortune. Une commune bruxelloise a ainsi créé un formulaire de "renonciation à la succession" qu’elle fait signer aux familles et qu’elle prétend transmettre au tribunal de première instance. Comme par miracle, certains héritiers parviennent alors à trouver les moyens financiers pour prendre en charge les frais funéraires…

Isolés ou marginalisés

On ne sera pas étonné d’apprendre que le phénomène concerne essentiellement les grandes villes et décroît à mesure qu’on s’en écarte. Ainsi, environ 100 à 120 personnes indigentes en moyenne sont enterrées chaque année à Bruxelles-Ville et plus d’une centaine à Liège. De trente à cinquante cas par an sont recensés dans d’autres communes bruxelloises, entre vingt et quarante à Namur, Mons et La Louvière, entre six et douze dans des villes comme Braine-l’Alleud ou Ottignies-Louvain-la-Neuve, de un à trois cas dans d’autres communes du Brabant wallon (Wavre, Ittre, Lasne, Jodoigne, Perwez…).

Il faut distinguer deux grandes catégories de défunts qui sont enterrés aux frais de la commune: d’une part, des personnes très marginalisées (SDF, toxicomanes, habitants de la rue), d’autre part, des personnes très isolées, généralement âgées, qui meurent dans un isolement extrême à domicile, à l’hôpital ou en maison de retraite. L’approche et les problèmes à résoudre ne sont pas les mêmes dans les deux cas.

Assurer une présence

Très souvent, les personnes âgées et isolées n’ont plus aucune attache familiale (ou en tout cas, il n’est pas possible de retrouver des proches dans le court laps de temps avant les funérailles). Elles quittent alors ce monde comme elles y ont vécu: sans personne autour d’elles, si ce n’est les employés de l’entreprise de pompes funèbres. Il convient de mentionner à cet égard l’action de l’asbl AIC (Association pour l’Inhumation et la Crémation), qui s’est précisément donné pour but de faire en sorte que personne ne parte seul. Lorsqu’elle est avertie par l’administration communale, l’un de ses bénévoles assiste aux funérailles et y dépose une fleur. AIC est essentiellement active dans la région bruxelloise, mais, à la demande, elle peut se rendre partout en Belgique.

Peut-être une initiative comme celle-là pourrait-elle susciter des émules dans d’autres régions du pays, d’autant plus que AIC remplit aussi une autre fonction? En effet, il n’y a pas que des personnes qui meurent dans le dénuement le plus complet: parfois, les parents ou les proches voudraient ‘faire quelque chose’ pour le défunt, mais n’ont pas les moyens pour payer des funérailles à 3.000 euros. Grâce à ses contacts et à la bonne volonté de certaines entreprises de pompes funèbres, l’asbl peut les aider à organiser un enterrement sobre et à des prix sans concurrence. En plus de la précieuse fonction sociale qu’elle exerce, elle soulage donc aussi les finances communales: sans son intervention, bon nombre de ces funérailles de personnes démunies auraient dû être prises en charge par les communes. Celles-ci n’auraient-elles pas intérêt à soutenir des initiatives de ce genre au niveau d’une ville ou d’une région?

Les morts de la rue

Tout autre est le profil des "morts de la rue": ils sont généralement insérés dans des réseaux informels de solidarité et ont des liens, même occasionnels, avec le milieu associatif. Il y a donc des gens à informer: des compagnons d’infortune, des travailleurs sociaux, parfois un ancien conjoint… Mais comme le dit une SDF de Charleroi: "Comment  être au courant de ceux qui meurent? Il n’y a pas d’avis dans les journaux pour les pauvres".

Si la commune a pris l’habitude d’informer systématiquement l’une ou l’autre association du quart-monde, la nouvelle peut se répandre très vite et ceux qui ont connu le défunt indigent peuvent venir à ses funérailles. À condition que le jour et l’heure de celles-ci ne soient pas décidés à la dernière minute (pour "boucher un trou" dans l’horaire) ou placés à un moment qui, de toute évidence, ne correspond pas aux habitudes de vie des exclus sociaux.

À Bruxelles-Ville, les funérailles des indigents ont lieu systématiquement le mardi et le jeudi après-midi. Cette régularité, qui facilite grandement le travail d’information au sein du secteur associatif et du monde de la rue, est bien sûr réservée aux communes qui sont confrontées à un nombre suffisant de cas. Mais une autre initiative de la Ville de Bruxelles mérite d’être soulignée: elle alloue au Collectif des Morts de la Rue un petit budget pour payer le trajet des personnes pauvres qui veulent se rendre aux funérailles et pour acheter des fleurs. Un petit geste tout simple à la portée de toutes les communes.

Dans toute la mesure du possible, la présence d’amis et de proches du défunt doit être mise à profit pour permettre un moment de recueillement ou d’expression: lecture d’un texte significatif, écoute d’une musique qui lui était chère, témoignages de ceux qui veulent dire quelques mots à sa mémoire. En effet, l’absence de tout rituel est peut-être un des aspects les plus choquants dans la manière dont sont parfois organisées les obsèques des indigents: la mise en bière, le transport, l’inhumation se font dans des conditions techniquement correctes, mais rien, à aucun moment, n’évoque la vie ou la personnalité de celui qui part. Rien ne s’apparente à l’un de ces "rites de passage" si importants dans la vie d’une société.

Les dernières volontés

Au sens strict, la loi n’impose pas de respecter la volonté du défunt indigent, et en particulier son choix de l’inhumation ou de l’incinération. Or, on sait que le coût de ces deux modes de sépulture n’est pas toujours équivalent.

Toutes les communes interrogées consultent cependant le Registre national pour vérifier si les dernières volontés du défunt y ont été enregistrées et, le cas échéant, elles s’y conforment. Mais comme la plupart des indigents vivent dans une situation d’isolement social ou de marginalité, il est assez rare qu’ils aient entrepris des démarches administratives en ce sens. De plus, il se peut qu’ils aient exprimé oralement des souhaits particuliers touchant à tel ou tel détail, comme un texte ou une musique qui leur étaient chers.

On ne peut donc que saluer les communes qui, lorsque c’est possible, font l’effort d’interroger l’entourage de la personne décédée pour savoir s’il n’y a pas certaines dispositions à respecter. Mais cela prend du temps et cela demande des moyens que l’on peut bien sûr mieux se permettre lorsque les funérailles d’indigents présentent un caractère relativement exceptionnel.

Dans la grande majorité des cas, la dépouille mortelle est inhumée au cimetière communal dans un emplacement non concédé et pour une durée minimale de cinq ans (même si, en pratique, les corps sont souvent laissés en place beaucoup plus longtemps). Le regroupement des indigents sur une parcelle distincte est une pratique critiquable au regard du principe légal de la neutralité des cimetières publics: la manière dont sont disposées les sépultures dans le cimetière ne peut pas refléter une distinction philosophique, religieuse, sociale ou autre. En principe, il ne peut donc pas y avoir un "coin des pauvres".

Toutefois, ce que demandent surtout les personnes précarisées, c’est que l’emplacement soit bien identifié de manière à pouvoir le retrouver facilement lorsqu’on vient le fleurir ou s’y recueillir. Certes, il est toujours possible de consulter le registre de l’état civil. Mais c’est une procédure assez contraignante. C’est pourquoi un élément visuel est préférable, comme une croix en bois portant le nom et le prénom du défunt, voire son année de naissance et de décès. C’est ce qui se fait d’ailleurs dans plusieurs communes.

Une touche d’humanité

Il ressort de la petite enquête de la Fondation Roi Baudouin que, globalement, la situation est satisfaisante: on est loin de l’époque où ceux qui mouraient sans ressources étaient souvent enterrés à la va-vite et dans des conditions indignes. Un peu partout, les communes font des efforts méritoires pour leur assurer des funérailles au moins décentes. Mais ce sont parfois de petits détails qui font la différence et qui permettent d’apporter cette touche d’humanité dont on se plait à souligner l’importance dans nos sociétés post-modernes. C’est ce que montre la brochure "Un adieu digne pour tous" en suggérant des solutions simples et constructives.

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  1. [Remonter] Source: réunion entre des responsables des services de la population de communes bruxelloises, le 21.6.2007. Procès-verbal aimablement transmis par Monsieur A. Sapart, Secrétaire communal adjoint à la Commune d’Ixelles.

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Date de mise en ligne
1er Décembre 2007

Auteur
Michel Teller

Type de contenu

Matière(s)

Funérailles et sépultures
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