Projet éolien et voirie communale, nouveauté
Dans un précédent article nous rappelions les deux situations souvent évoquées dans le cadre de la création d’un parc éolien lorsque se pose la question de l’application du décret du 6 février 2014 relatif à la voirie communale.
Ces deux situations sont d’une part celle des voiries d’accès aux éoliennes créées à partir d’une voirie publique. De l’autre, il s’agit de la question des modifications des voiries publiques permettant l’acheminement du matériel nécessaire à l’installation des éoliennes.
Dans le premier cas qui concerne les voiries d’accès au parc éolien, la nature de la voirie créée est en réalité le seul élément déterminant à prendre en compte pour déterminer la procédure à suivre dans le cadre de la création de la voirie.
La notion de voirie communale au sens du décret de 2014 correspond à la « voie de communication par terre affectée à la circulation du public, indépendamment de la propriété de son assiette, y compris ses dépendances qui sont nécessaires à sa conservation, et dont la gestion incombe à l'autorité communale » dans la mesure où elle n’incombe pas à une autre autorité : régionale par exemple. La définition exclut donc les voiries dites privées.
La notion de voirie privée est une notion de pur fait, c'est-à-dire qu’est privée la voirie non accessible au public. Le Conseil d’Etat[1] considère systématiquement qu’une voirie fermée par une barrière (près de laquelle sont rassemblées les boîtes aux lettres par exemple) est privée. En ce qui concerne un projet de voirie à créer, c’est donc bien à la demande qu’il faut avoir égard pour trancher la question.
Le Conseil d’Etat[2] dans un dossier spécifique traité sous l’empire du Cwatupe rappelle que pour tout projet qui « implique l'ouverture de nouvelles voies de communication, la modification du tracé de voies de communication communales existantes, l'élargissement ou la suppression de celles-ci, le conseil communal prend connaissance des résultats de l'enquête publique et délibère sur les questions de voiries avant que l'autorité compétente ne statue sur la demande de permis; » .Il applique donc la procédure de création de voiries classiques.
Le Conseil d’Etat[3] décide d’analyser complètement le projet pour conclure qu’ « en l'espèce, il ressort de l'étude d'incidences (résumé non technique et carte n° 3) que les cinq chemins d'accès qui devront être créés pour se rendre jusqu'aux éoliennes seront réalisés sur des parcelles agricoles privées et ne donneront accès qu'aux éoliennes, de sorte que les articles 128 et 129 du Cwatup ne sont pas d'application en l'espèce s'agissant de la création de ces cinq chemins d'accès; » .Par contre l’instance administrative continue estimant : « qu'il résulte de l'étude d'incidences que le projet de parc éolien nécessite non seulement la création de chemins d'accès mais aussi le renforcement et l'élargissement de chemins agricoles existants, lesquels doivent être qualifiés de voirie communale, dans la mesure où ils sont ouverts au public; » Pour ces derniers, le Cwatupe applicable à l’époque aurait dû être respecté, ce qui rend le permis nul.
La seconde question concernait les modifications apportées aux voiries publiques pour les besoins de la cause à savoir, le plus souvent, pour leur conférer un gabarit suffisant à l’acheminement de matériaux. Il est donc bien question de voiries ou d’aménagements de voiries qualifiés de « temporaires ».
Il faudra ici également se poser la question de la nature publique ou privée de la voirie. Dans le second cas de figure, celui d’une voirie privée, la même réponse que ci-dessus peut-être apportée moyennant les bémols liés à la difficulté de catégoriser la voirie privée. A titre d’exemple, l’installation d’un revêtement différent de celui existant, combinée à la pose de barrières ou d’entraves amovibles limitant l’accès aux élargissements, ou encore la pose d’une signalisation faisant référence au caractère privé, pourraient être pris en compte afin d’éviter l’application du décret du 6 février 2014. Une évaluation « en fait » de chaque projet reste donc indispensable.
A contrario, si la voirie est publique il convient de vérifier si la modification de la voirie constitue un « simple » aménagement ou une modification de ses limites. En effet, seule la modification des limites ou du tracé d’une voirie communale, à l’exclusion de son aménagement, nécessite d’appliquer la procédure du décret de 2014 relatif aux voiries communales précité. À cet égard, nous n’ignorons pas que la difficulté réside dans la détermination des limites de la voirie d’un point de vue « légal » ou administratif qui en pratique ne correspondent pas toujours avec les limites physiques visuelles de ladite voirie.
On perçoit immédiatement la difficulté pratique d’une procédure aussi lourde de création de voirie appliquée à ces cas spécifiques de voiries temporaires. En effet, qu’en est-il si personne n’introduit de procédure en suppression/rétrécissement des voiries communales ainsi créées ?
Ajoutons que jusqu’aujourd’hui, selon le Conseil d’Etat[4] « Dès lors que le projet litigieux entraîne une modification de la voirie, fût-elle temporaire, les termes du premier alinéa de l'article 7 de ce décret imposent l'obtention préalable de l'autorisation du conseil communal. Ni l'article 7 du décret ni ses travaux préparatoires ne formulent d'exception au profit des aménagements provisoires, alors que le second alinéa de cette disposition autorise expressément le gouvernement à déterminer la liste des modifications non soumises à cet accord préalable. …. En conclusion, nonobstant le caractère provisoire des aménagements de la voirie, une autorisation préalable de l'autorité compétente semblait bel et bien requise en application du décret du 6 février 2014 relatif à la voirie communale ».
Récemment, un arrêté du Gouvernement wallon est venu changer la donne. Depuis le 25 février 2019[5], toute modification d’une voirie communale pour une durée n’excédant pas douze mois et nécessaire à la mise en œuvre d’un permis d’urbanisme, d’un permis d’environnement, d’un permis unique ou d’un permis intégré n’est plus soumise à l’accord préalable du conseil communal visé par le décret du 6 avril 2014 relatif à la voirie communale. Cette nouvelle règle s’appliquera à toutes les demandes introduites avant l’entrée en vigueur de l’arrêté précité.
Une dernière piste nous semble exploitable pour les projets ne pouvant se « réfugier » derrière le caractère privé des voiries temporaires ou dont la durée va au-delà des 12 mois désormais dispensé de permis de voirie. Il s’agit de celle contenue à l’article 10 du décret relatif à la voirie communale. Même si le texte et son interprétation restent ambigus, il se pourrait qu’il constitue une piste de solution, à tout le moins pour les nouvelles voiries temporaires. Le texte prévoit en effet que « Les communes et les propriétaires de parcelles libres de charges et servitudes peuvent convenir d'affecter celles-ci à la circulation du public. Ces conventions sont conclues pour une durée de vingt-neuf ans au plus, renouvelables uniquement par une nouvelle convention expresse[6].» Ensuite, « La voirie communale est créée, modifiée ou supprimée sur les assiettes ainsi constituées conformément aux dispositions du présent chapitre pour une durée qui ne peut excéder le terme de la convention ».
A priori, la temporalité peut être respectée grâce à ce type de dispositions d’autant plus que, même si cela est juridiquement contestable, le législateur dans le cadre de son commentaire des articles du décret considère que « La voirie est par contre supprimée de plein droit à l’issu du terme de la convention de constitution de l’assiette, peu importe la cause de ce terme (annulation, résiliation, échéance convenue,…), ceci sans qu’il soit nécessaire de reprendre une décision formelle de suppression par le Conseil communal. » Petit bémol, nous ne savons pas dans quelle mesure cet article peut être utilisé pour un élargissement de voirie existante.
Enfin, s’agissant d’un tel aménagement provisoire mais cette fois, sur une voirie régionale, rappelons que toute modification souhaitée doit respecter le décret du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques imposant l’obtention d’une autorisation préalable pour réaliser des travaux sur le domaine public régional.
[1] CE, n° 189.815 du 27 janvier 2009.
[2] CE, n° 229.959 du 22 janvier 2015.
[3] Idem.
[4] CE, n° 241.941 du 26 juin 2018 et C.E. n° 241.639 du 29 mai 2018, MATHY et consorts.
[5] AGW, établissant la liste des modifications d'une voirie communale non soumises à l'autorisation préalable du conseil communal, 24.1.2019, M.B., 25.2.2019.
[6] Par ailleurs pour garantir l’opposabilité aux propriétaires successif : « Ces conventions sont transcrites sur les registres du conservateur des hypothèques dans l'arrondissement où la voirie est située » (art. 10 du décret voiries communales).
Voirie/travaux : Marie-Sophie Burton - Emmanuelle Jouniaux - Frédérique Witters