Prêt de matériel: concurrence déloyale?
Une commune qui prête ou loue du matériel à tarifs préférentiels sur son territoire pour soutenir notamment des évènements culturels, folkloriques et associatifs peut-elle se voir condamnée pour concurrence déloyale?
Si les communes, et les pouvoirs locaux en général, sont susceptibles de bénéficier de différentes formes de subventionnement pour la mise en œuvre de projets particuliers, ils peuvent également être, eux-mêmes, des dispensateurs de subsides. En effet, l’octroi d’aides et de subsides à des tiers fait partie des modes d’utilisation des ressources dont ils disposent à l’appui du développement de leurs politiques.
De tels supports et incitants sont envisageables dans une très grande diversité de domaines d’intervention et peuvent s’adresser aussi bien à des associations qu’à des citoyens, des ménages ou des entreprises pour autant que les subventions aient une fin d’intérêt général.
S’ils peuvent prendre la forme d’interventions purement financières, d’autres formes de soutien sont envisageables et régulièrement mises en œuvre telle la mise à disposition (gratuite ou à tarif préférentiel) de bâtiments, de locaux, de véhicules, de matériel, de terrains, d’infrastructures sportives, tels le transport de matériel, la mise à disposition de personnel, la prise en charge de dépenses ou de dépenses de dettes, la réalisation de travaux, l’octroi de garanties financières, etc.
En tout état de cause, dans les limites des ressources disponibles, les "subventions communales" permettent de compléter très concrètement les outils de développement des politiques communales, en y associant directement l’action de la société civile et en resserrant les liens entre cette dernière et le secteur public.
Dès lors, la mise à disposition de matériel, le cas échéant à tarifs préférentiels, par la commune sur son territoire en vue de soutenir notamment des évènements culturels, folkloriques et associatifs peut tout à fait s’inscrire dans le cadre de ces "subventions communales".
A ce propos, rappelons que l’octroi de telles subventions est encadré par un cadre juridique spécifique permettant de contrôler l’usage fait par leurs bénéficiaires des fonds et supports alloués par les pouvoirs locaux (voyez les articles L3331-1 et suivants du Code de la démocratie locale et de la décentralisation qui intègre dans le Code la loi du 14 novembre 11983 relative au contrôle de l’octroi et de l’emploi de certaines subventions).
Il est à noter que ce cadre juridique a récemment été modifié par un décret du 31 janvier 2013 modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation paru au Moniteur belge du 14 février dernier (entrée en vigueur: 1er juin 2013).
Quant à l’éventuelle concurrence déloyale qui pourrait en découler avec le secteur privé, il convient de rappeler que la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur[1] interdit, en son article 95, "tout acte contraire aux pratiques honnêtes du marché par lequel une entreprise porte atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d’une ou de plusieurs autres entreprises".
Il appartient au président du tribunal de commerce[2], dans l’hypothèse où celui-ci est saisi d’une action en cessation, d’apprécier si un acte illégal a ou non été commis. Cette action en cessation peut être introduite par toute personne intéressée ainsi que par un groupement professionnel ou interprofessionnel ayant la personnalité civile[3].
Cette loi de 2010 est venue remplacer la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques de commerce et sur l’information et la protection du consommateur (ci-après LPCC). Cette dernière avait un champ d’application assez large dès lors qu’elle s’appliquait à tout vendeur. La notion de vendeur recouvrait notamment "les organismes publics ou les personnes morales dans lesquels les pouvoirs publics détiennent un intérêt prépondérant qui exercent une activité à caractère commercial, financier ou industriel et qui offrent en vente ou vendent des produits ou des services"[4].
A ce propos, le Juge de paix de Thuin avait d’ailleurs récemment rappelé qu’ "une doctrine majoritaire conclut à l’application généralisée de la LPPC aux organismes ou personnes morales de droit public dans l’exercice de leur mission de service public, sous réserve de dispositions légales contraires ou d’un conflit entre les dispositions de la LPCC et les principes généraux de droit administratif propres aux services publics tels que la continuité du service public ou l’égalité d’accès"[5].
Cette LPCC a cependant été abrogée et remplacée par loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché à la protection du consommateur mentionnée ci-avant. Cette dernière s’applique quant à elle à toute entreprise, définie comme "toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations". A ce sujet, les travaux préparatoires précisent qu’une "entreprise est une organisation indépendante et durable au sein de laquelle une ou plusieurs personnes produisent ou distribuent des biens ou des services à l’aide de moyens matériels et immatériels"[6].
Alors que les organismes publics étaient clairement soumis à la loi du 1991, il est permis de s’interroger quant à l’application de la nouvelle loi de 2010 aux activités des autorités publiques.
A ce sujet, les travaux préparatoires de cette nouvelle législation précisent que "les organismes publics sont des entreprises en ce qui concerne leurs activités qui ne font pas partie de leur mission légale d’intérêt général. Lorsque l’activité concernée fait partie des tâches essentielles de l’autorité publique, à savoir l’exercice de compétences qui sont typiquement celles d’une autorité publique, l’organisme public n’agit pas dans ce cas en tant qu’entreprise. En revanche, s’il s’agit d’une activité économique qui ne doit pas être nécessairement assurée par l’autorité, l’organisme public agit comme une entreprise. Afin de déterminer si un organisme public agit en tant qu’ "entreprise", il sera donc nécessaire d’examiner au cas par cas les activités qu’elle accomplit"[7].
Dès lors, l’application de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur dépendrait des activités en question exercées par la commune[8].
La mise à disposition de matériel, le cas échéant à tarifs préférentiels, par la commune à des associations en vue de soutenir des évènements, telles une fête de quartier ou une manifestation folklorique sur le territoire communal, constitue à notre sens une mission d’intérêt général pouvant écarter l’application de la loi de 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur. Cette mise à disposition implique cependant le respect de la règlementation relative aux subsides communaux dans l’hypothèse où elle constitue un avantage octroyé en vue de promouvoir une activité utile à l’intérêt général.
Si ces mises à disposition de matériels ne peuvent par contre se justifier dans le cadre d’une mission d’intérêt général de la commune, comme par exemple les prêts consentis à des sociétés commerciales en vue de l’organisation de fêtes purement privées et lucratives, il nous semble que cette activité est susceptible d’entrer dans le champ d’application de la loi du 6 avril 2010. Cela ne signifie néanmoins pas nécessairement que la pratique est illégale, mais bien qu’elle est susceptible de faire l’objet d’une action en cessation devant le Président du Tribunal de Commerce, lequel examinera sa légalité. Notons toutefois que l’opportunité de l’action publique locale peut interpeller, si la commune agit en dehors de l’intérêt communal.
[1] Publié au Moniteur belge du 12 avril 2010.
[2] L. 6.4.2010 concernant le règlement de certaines procédures dans le cadre de la L. 6.4.2010 rel. aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, M.B. 12.4.2010.
[3] L. 6.4.2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, art. 113.
[4] LPCC, art. 1er, 6°.
[5] J.P. Thuin, 24.10.2011, J.T., 2012, p. 283.
[6] Doc. parl., Ch. Repr., sess. ord., 2009-2010, Doc. 52 2340/001, p. 13.
[7] Doc. parl., Ch. Repr., sess. ord., 2009-2010, Doc. 52 2340/001, p. 37.
[8] V. pour cet interprétation, J. Laffineur, La loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur: reflexions sur son application dans le domaine immobilier, in Jurim Pratique, 2012/3, p.16.