Ce document, imprimé le 18-04-2024, provient du site de l'Union des Villes et Communes de Wallonie (www.uvcw.be).
Les textes, illustrations, données, bases de données, logiciels, noms, appellations commerciales et noms de domaines, marques et logos sont protégés par des droits de propriété intellectuelles.
Plus d'informations à l'adresse www.uvcw.be/info/politique-confidentialite
Mis en ligne le 14 Décembre 2020

En cas de troubles plus ou moins graves à l’ordre public, le droit fédéral semble avoir prévu un système à la fois souple et fort complet pour assurer la prise de décisions, tant juridiques (autorités publiques, notamment locales : bourgmestre et conseil communal) qu’opérationnelles (services de police, d’incendie et d’aide médicale urgente, essentiellement), destinées à les combattre et les résoudre.

Ainsi, « en temps normal », les troubles de la sécurité, de la tranquillité, de la propreté et de la salubrité publiques sont pris en charge - outre les dispositions des polices administratives spéciales applicables dans leur domaine d’action respectif (environnement, urbanisme, logement, etc.) - par les autorités communales, bourgmestre en tête, sur base de l’article 135 §2 de la Nouvelle loi communale.

En revanche, lorsque survient un événement d’une grande gravité et/ou ampleur, qu’il soit qualifié de crise, de catastrophe, de calamité ou encore d’accident majeur, ou qu’il s’agisse de s’y préparer (par l’établissement de plans d’urgence et le lancement d’exercices pour tester ceux-ci), le législateur fédéral a prévu cette fois un système très organisé de règles précises, procédurales et opérationnelles, afin de permettre une réaction la plus complète et coordonnée possible face à la gravité des risques encourus : il s’agit de la planification d’urgence et gestion de crise (la PLANU, comme on se plaît à la dénommer sur le terrain). Une fiche spécifique y a été consacrée dans le présent Focus (voy. fiche [MISSION PLANU]).

Ainsi équipé de compétences et de protocoles d’action adaptés à chaque situation, les autorités publiques pouvaient se croire à l’abri de toute difficulté d’organisation et de prise de décision en matière d’ordre public au sens large.

La pandémie de Covid-19 qui a éclaté au début de l’année 2020 a cependant secoué quelque peu ces convictions.

En effet, s’il est très vite apparu que la gestion d’une crise sanitaire d’une ampleur mondiale allait nécessiter, dans notre pays, la prise de mesures juridiques et opérationnelles au niveau le plus élevé, c’est-à-dire le niveau fédéral, il fut également patent, dès les premiers jours du déclenchement de la « phase fédérale » du plan d’urgence en mars 2020, que le type d’évènement auquel l’ensemble de la population nationale (et mondiale) faisait face ne pouvait se gérer comme - on pardonnera cet oxymore - une « catastrophe normale », pour laquelle la planification d’urgence avait été conçue.

Quelles sont les particularités d’une pandémie telle que celle de la Covid-19, comparées aux autres événements qui ont nécessité le déclenchement de phases fédérales ou provinciales de gestion de crise au cours des dernières décennies (notamment la catastrophe industrielle de Ghislenghien en 2004, l’accident ferroviaire de Buizingen en 2010, ou encore les attentats terroristes de Bruxelles en 2016) ?

Ces particularités résident essentiellement dans :

  1. l’étendue géographique de la crise, qui est énorme, voire absolue (la planète entière) ;
  2. son caractère continu (à la différence de la soudaineté d’une explosion ou d’un incendie, les contaminations virales se produisent de manière très progressive : de nouvelles victimes sont comptabilisées par vagues successives, sur une très longue période, se comptant en mois) ;
  3. sa gravité, très variable selon les lieux et selon les périodes (de nombreux services de soins intensifs, maisons de repos, centres d’accueil, etc., sont susceptibles d’être débordés par les victimes dans certaines régions et pendant plusieurs semaines, selon un schéma évolutif, mobile et très difficile à prédire).

Le dispositif à mettre en place pour y faire face doit donc être - chose inédite jusqu’alors - à la fois généralisé et protéiforme :

  • généralisé : la circulation du virus est, en quelques semaines, devenue mondiale et il doit être combattu partout,
  • protéiforme : outre le déclenchement de plans d’urgences et la mise en place de dispositifs hospitaliers ou sanitaires destinés à gérer des situations de crise en cours causant de nombreuses victimes, malades, blessés ou décédés, il est nécessaire, dans le même temps, de prendre des lourdes mesures préventives à l’égard de l’ensemble de la population afin d’éviter l’aggravation de la crise ou sa réapparition : confinement, interdictions de rassemblements, fermeture d’établissements, obligation de port du masque, d’utilisation de produits désinfectants, de respecter des gestes barrières, etc.

Ces énormes difficultés ont soumis à un stress inouï, non seulement les services opérationnels (hôpitaux, médecins, infirmiers, policiers, pompiers, ambulanciers, travailleurs sociaux, etc.), mais également notre ordre juridique et les différents niveaux d’autorités chargées de le faire respecter.

En effet, la planification d’urgence, telle que conçue dans la législation de 2006 et actualisée en 2019 (voy. fiche [MISSION PLANU]), en tant que police administrative spéciale censée prendre le pas sur les pouvoirs de maintien de l’ordre des bourgmestres (voy. fiche [MISSION PAG]) a connu plusieurs moments-clés dans sa réponse à la pandémie de 2020 :

  • la « Planu » a tout d’abord joué pleinement son rôle : la phase fédérale du plan d’urgence a été déclenchée en tout début de la crise Covid-19 (mars 2020), permettant une réponse coordonnée à la menace qui s’approchait à grands pas : confinement, obligation de télétravail, fermeture d’établissements, etc., sur l’ensemble du territoire belge ;
  • mais dans les semaines qui ont suivi ces premières mesures fédérales, sont très vite apparues des incohérences entre les règles valables sur tout le territoire belge et la réalité de terrain dans de nombreuses communes : là où les règles de la Planu fédérale, impératives partout, ne prévoyaient à l’origine concernant le port du masque en rue, qu’une simple recommandation, de nombreux bourgmestres ont estimé nécessaire d’aller au-delà et d’imposer le port du masque en rue dans leur commune. La réaction initiale de l’autorité fédérale, par le biais de son Ministre de l’Intérieur, fut de rappeler à l’ordre les bourgmestres en question, la planification d’urgence, en phase fédérale de plan d’urgence, étant censée donner priorité au fédéral sur les autorités locales quant aux règles à imposer ou non. Ce rappel à l’ordre, fondé sur l’expertise du Centre de crise fédéral, laissait néanmoins subsister un flou juridique :
  • il est clair, sur le plan légal, que les mesures fédérales en matière de Covid-19 sont en principe exclusivement de la police administrative spéciale (en l’occurrence celle de la lutte contre les événements de crise de grande ampleur) et non de la police administrative générale, de compétence communale ;
  • partant, il est certain également que les pouvoirs des communes en matière de protection contre la Covid sont en quelque sorte « englobés » dans un système décisionnel spécifique de planification d’urgence, qui peut se situer au niveau communal, provincial ou fédéral, en fonction de l’ampleur de la crise. En l’occurrence, c’est la phase fédérale qui a été enclenchée depuis mars 2020 ;
  • il y a donc clairement une hiérarchie dans la prise de mesures de crise fédérales : le Gouvernement fédéral (via le Conseil national de sécurité) décide, les gouverneurs et les bourgmestres exécutent ;
  • cependant, l’analyse juridique fédérale a mis en lumière deux spécificités de notre système juridique. D’une part, la situation concrète sur le terrain pose parfois la question de la légalité d’une mesure communale qui impose ce que le Fédéral ne fait que préconiser plus ou moins fortement (par ex. le port des masques dans les commerces ou en rue), ou qui interdit ce que le Fédéral ne fait que déconseiller plus ou moins fortement. Dans ce cas, de l’aveu même des experts fédéraux, tout est question d’appréciation :
    • appréciation d’une part de la volonté du Fédéral quand il a édicté sa mesure (voulait-il exactement ce qu’il préconise, ou bien « à tout le moins » cela, et plus encore ne sera pas un problème si les circonstances locales le rendent nécessaire ?),
    • appréciation d’autre part de la situation concrète sur le terrain, que le bourgmestre est le mieux à même d’apprécier.

D’autre part, il n’existe pas, en matière de gestion de crise, de système de tutelle fédérale spécifique sur les autorités communales. En cas de désaccord, l’autorité fédérale semble donc réduite à solliciter l’application de la tutelle générale d’annulation des Régions. Et à défaut, à poursuivre la suspension et/ou l’annulation de la décision du bourgmestre devant le Conseil d’État ;

  • semblant se ranger finalement à la sagesse d’une approche de sécurité et de prévention la plus en phase avec les réalités de terrain, l’autorité fédérale a totalement changé son dispositif juridique à partir de l’été 2020, en ne conservant que quelques règles de sécurité précises (interdiction de rassemblement ou d’événements au-delà d’un certain nombre de personnes, obligation de port du masque dans les transports en commun et les commerces, etc.) tout en laissant aux bourgmestres le soin de modaliser les mesures de prévention en fonction des réalités spécifiques de leur commune, souvent même variables en fonction des villages ou des quartiers.

Deux tempéraments importants toutefois à ce pouvoir de « police locale » retrouvé :

  • premièrement, les autorités fédérales peuvent décider que la prise de mesures plus spécifiques se fera à un niveau non pas communal mais bien supralocal, en confiant notamment aux Régions, ou aux gouverneurs de province, le soin de déterminer les territoires les plus appropriés à certaines de ces mesures ;
  • ensuite, la modalisation de ces mesures au niveau local ne pourra jamais aller dans le sens d’un assouplissement, d’un allègement des mesures de prévention décidées au niveau fédéral, mais uniquement d’un renforcement, d’une plus grande contrainte (par ex., un bourgmestre pourra imposer le port du masque en rue, là où les règles fédérales de base ne font qu’une recommandation à ce sujet ; en revanche, il ne pourra pas laisser facultatif le port du masque en rue, si le Fédéral l’a rendu obligatoire).

Quelle conclusion claire tirer de cette valse-hésitation juridique, très pénible, bien que compréhensible dans le contexte inouï d’une pandémie mondiale qui a causé, de manière pernicieuse, la mort de plus d’un million d’humains en quelques mois ?

Sans doute ceci : il est un principe de jurisprudence constante que la police administrative générale des bourgmestres, basée sur l’article 135 §2 de la Nouvelle loi communale, subsiste partout où les mesures de police administrative spéciale n’ont pas réglé une matière de manière suffisamment complète et structurée.

La planification d’urgence et la gestion de crise ne font pas exception à la règle : tant que les mesures prises dans la cadre d’une phase fédérale du plan d’urgence ont « prévu une place », un rôle clair et précis pour les autorités communales, celles-ci sont tenues d’en respecter les modalités. Et au contraire, lorsque les mesures supérieures semblent avoir négligé une approche fine et non ambiguë des réalités locales, les pouvoirs de police administrative générale du bourgmestre (et dans une moindre mesure, du conseil communal) ont vocation à fonder une prise de mesures propres à un territoire communal, car plus adaptée aux événements particuliers qui s’y produisent.

La persistance de la pandémie et des mesures restrictives des libertés qui l’accompagnent, au cours de l’année 2020 mais également 2021, ont néanmoins poussé le gouvernement fédéral a faire adopter par le Parlement une loi-cadre complète consacrée aux mesures applicables en cas de situations de ce type : il s’agit de la loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d'une situation d'urgence épidémique, autrement appelée « loi pandémie ».

Cette nouvelle loi spécifique coexiste donc aux côtés, mais en étroite coordination opérationnelle avec la législation sur la planification d’urgence (voy. fiche [MISSION PLANU]) puisqu’elle ne vise pas le même type de situation d’urgence.

En voici les lignes de forces :

1. Une urgence épidémique déclarée par le gouvernement devra être « validée » par le Parlement

La situation d’urgence, qui justifie la prise de mesures restrictives de liberté, ne pourra durer plus longtemps que ce qui est "strictement nécessaire", et jamais plus de trois mois, mais renouvelable. Dans un souci de contrôle démocratique, la décision gouvernementale d’instaurer une situation d’urgence devra être confirmée par la Chambre dans un délai de 15 jours, à défaut de quoi l’arrêté royal instaurant l’urgence sera caduc.

2. Les gouverneurs et les bourgmestres pourront aussi prendre des mesures de police spéciale

Les mesures de police administrative nécessaires "en vue de prévenir ou de limiter les conséquences de la situation d’urgence épidémique pour la santé publique" ne sont pas l’apanage du Fédéral : les gouverneurs et bourgmestres pourront également prendre des mesures « renforcées » par rapport aux mesures décidées au niveau fédéral, et cela si les contraintes locales le justifient.

3. Les mesures de police administrative ne sont pas énumérées dans le texte

La loi précise toutefois que ces mesures doivent être « nécessaires, adéquates et proportionnelles à l'objectif poursuivi », et liste par ailleurs huit domaines (accès au territoire, vente de biens et services, modalités de déplacement, organisation du travail, etc.) où ces mesures peuvent s’appliquer.

4. La loi prévoit un régime sanctionnel équilibré, prévoyant l’effacement au casier judiciaire après trois ans

Les infractions aux mesures pourront être sanctionnées d’une amende allant d’un 1 à 500 euros, d’une peine de travail de 20 à 300 heures, d’une peine de probation autonome de six mois à deux ans, d’une peine de surveillance électronique d’un mois à trois mois ou d’une peine d’emprisonnement de maximum trois mois. Les condamnations seront effacées automatiquement du casier judiciaire trois ans après la décision judiciaire.

5. Le gouvernement doit faire rapport chaque mois au Parlement, en ce compris un rapport final d’évaluation

Toujours dans l’optique de garantir un contrôle démocratique des mesures exceptionnelles prises en vertu de cette loi, le gouvernement sera tenu de faire rapport de la situation au Parlement tous les mois. Il devra également présenter au Parlement, dans les trois mois après la fin de chaque situation d’urgence épidémique, un rapport d’évaluation concernant le respect des droits fondamentaux, de la situation économique ou encore de l’impact de l’évènement sur la santé mentale de la population.

L'article complet au format PDF

Télécharger le PDF


Cover: Focus sur la commune - Fiches pour une bonne gestion communale
Focus sur la commune

Cette fiche provient de l'ouvrage "Focus sur la commune - Fiches pour une bonne gestion communale", véritable outil réalisé en collaboration avec la DG05 pour tout savoir sur la commune, terreau de démocratie, pouvoir le plus proche du citoyen au service duquel, jour apres jour, le mandataire local assume son mandat. Indispensable aux décideurs qui veulent contribuer de façon active à la gestion de leur commune.

Téléchargez cette fiche en PDF Découvrez l'ouvrage complet
Annonces publicitaires - Vous souhaitez annoncer?
Voir le catalogue complet

Date de mise à jour
1er Décembre 2021

Type de contenu

Matière(s)

Police locale
Activez les notifications

Soyez notifié de toutes les nouveautés dans la matière Police locale