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Mis en ligne le 23 Mars 2022

A la demande d’Annelies Verlinden, Ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique, l’Union des Villes et Communes de Wallonie a remis un avis sur l’avant-projet de loi relatif à l’approche administrative communale de la criminalité subversive. Celui-ci appelle diverses remarques importantes.

1.     Séparation des pouvoirs

Les mesures prévoyant la possibilité de soumettre l'exploitation ou la création des établissements accessibles au public, où se dérouleront des activités économiques à une enquête d'intégrité, semblent particulièrement dangereuses par rapport au respect de la séparation des pouvoirs en impliquant à ce point des autorités administratives dans des matières touchant à l’ordre judiciaire. Il semble opportun de rappeler que la séparation des pouvoirs est un principe essentiel d’une démocratie et que l’avant-projet donne des pouvoirs très étendus au bourgmestre et à la commune sans que des balises et appuis suffisants ne soient apportés pour permettre à l’exercice de ces pouvoirs d’assurer le respect de ce principe essentiel.

La lutte contre la criminalité subversive n’est a priori pas une matière directement traitée par les pouvoirs locaux, mais est une compétence du pouvoir judiciaire. Ce même pouvoir a de nombreuses difficultés pour éradiquer cette criminalité malgré les outils dont il dispose. L’UVCW s’interroge, dès lors, quant à la possibilité pour les pouvoirs locaux de lutter plus aisément ou efficacement contre cette criminalité avec les nouveaux outils proposés par l’avant-projet de loi.

Cet avant-projet de loi semble entrer dans la même orientation que d’autres (à commencer par la législation sur les sanctions administratives communales) : décharger le pouvoir judiciaire dans lequel l’Etat fédéral n’investit plus assez, en reportant sa mission sur les pouvoirs locaux, dont ce n’est pas le rôle. En effet, même si l’exposé des motifs semble motiver l’avant-projet de loi via le maintien de l’ordre public, il est évident que l’interprétation ici envisagée à ce terme est beaucoup plus large que celle réellement prise en charge par les pouvoirs locaux.

Or, comme l’UVCW l’a déjà signalé à diverses reprises, les villes et communes sont garantes du maintien de l’ordre public dans sa plus stricte interprétation. L’interprétation ici envisagée paraît particulièrement large et donc s’éloigner grandement de la notion de base.

L’Union des Villes et Communes de Wallonie est consciente que l’avant-projet répond à certaines demandes locales. Toutefois, la demande principale des communes est de disposer de moyens d’action pour exercer leurs compétences de maintien de l’ordre public tel qu’il se comprend communément actuellement, sans sortir du cadre de leurs strictes compétences.

La mise en place d’un système d’enquête d’intégrité dépasse sensiblement le cadre normal d’actions des pouvoirs locaux. Il convient donc que cette prérogative soit laissée aux institutions relevant de l’ordre judiciaire. Par contre, les autres mécanismes prévus dans l’avant-projet (il en est ainsi des modifications proposées aux articles 134ter, quinquies, sexies et septies de la nouvelle loi communale ainsi qu’à la loi 24 février 1921), sont utiles pour les pouvoirs locaux et visent leur mission stricte d’assurer le respect de l’ordre public.

2.     Liberté de commerce et d’industrie

Le principe constitutionnel de la liberté de commerce et d’industrie paraît également mis à mal avec les outils proposés par l’avant-projet de loi. L’UVCW craint, dès lors, une augmentation du contentieux judiciaire avec les risques qui pourraient en découler pour les pouvoirs locaux.

3.     Responsabilité des bourgmestres et/ou des communes

L’UVCW craint, de plus, que la responsabilité des bourgmestres et/ou des communes soit trop facilement mise en cause dans le cadre de la gestion des enquêtes d’intégrité. En effet, quelle serait la responsabilité du bourgmestre et/ou de la commune lorsqu’une ouverture d’un établissement serait autorisée alors que des faits répréhensibles s’y produiraient ultérieurement ? A l’inverse, refuser l’ouverture d’un établissement sur la base d’une enquête ne pourrait-il pas mener à des dommages et intérêts si d’aventure il était démontré ultérieurement que ce refus n’était pas fondé ? En outre, quelle serait la responsabilité de la commune et, le cas échéant du bourgmestre, en cas d’absence d’adoption d’un règlement de police prévoyant l’enquête d’intégrité lorsque des faits de criminalité seraient constatés dans certains établissements ? Par ailleurs, l’UVCW craint qu’une exportation de la criminalité subversive ait lieu vers les communes qui n’adopteraient pas ce nouvel outil.

Enfin, une augmentation du contentieux, via des recours, risque également d’avoir lieu, ce qui entraînera nécessairement des coûts supplémentaires pour les pouvoirs locaux qui devront s’en défendre. L’UVCW est d’avis que la lutte contre ce type de criminalité ne peut avoir lieu correctement qu’en passant par le pouvoir judiciaire avec lequel les pouvoirs locaux peuvent collaborer en faisant, notamment, application de l’article 29 du Code d’instruction criminelle qui, pour rappel, impose à tout fonctionnaire public qui a connaissance d’un délit ou d’un crime d’en avertir sur le champ le Procureur du Roi.

4. Moyens humains et financiers

Outre les remarques de principe énoncées ci-avant, il faut aussi relever que, quod non, si l’avant-projet venait à s’appliquer, la question du financement de ce type de mécanismes se poserait également avec acuité. A l’heure actuelle, il est évident que les municipalités ne disposent pas de moyens financiers et humains pour assumer les charges induites par l’avant-projet de loi, et singulièrement les moyens humains nécessaires à l’exécution des missions liées à l’enquête d’intégrité et au registre y relatif, notamment.

Par ailleurs, des garanties d’ordre pratique et financier doivent impérativement être données aux pouvoirs locaux quant à la mise en œuvre des mesures permettant la bonne gestion de l’ordre public, reprises dans le présent avant-projet.

5. Proposition alternative

a. Réviser la législation sur les débits de boissons et night shops

L’Union des Villes et Communes de Wallonie reconnaît, néanmoins, les difficultés rencontrées par les pouvoirs locaux face, notamment, à certains débits de boissons et night-shops. Renforcer les outils des municipalités en la matière semble d’une absolue nécessité. Dès lors, l’Union des Villes et Communes de Wallonie suggère, en lieu et place de l’avant-projet proposé, dont l’enquête d’intégrité et ses effets semblent particulièrement inquiétants pour les pouvoirs locaux, de réglementer autrement la matière des débits de boissons alcoolisées et celle des night-shops.

En effet, il existe deux législations dans ces matières qui doivent être mises à jour. Ces mises à jour suffiraient à elles seules à endiguer une grande partie de la criminalité sans poser de question de répartition de compétences et de séparation des pouvoirs que pose l’avant-projet de loi relatif à la criminalité subversive.

Ainsi, l’ouverture d’un débit de boissons aujourd’hui doit être validée par les communes. Pourtant, la liste des conditions d’exclusion à la tenue d’un débit reste désuète. Un exploitant ayant été condamné au trafic de stupéfiants ne fait, par exemple, pas l’objet d’une exclusion. Il en va de même d’un exploitant condamné pour une infraction de terrorisme. Les conditions de moralité doivent impérativement être revues par le législateur fédéral afin de coller davantage à la réalité.

Par ailleurs, aujourd’hui, le bourgmestre ne dispose d’aucun pouvoir de sanction à l’égard du débit de boissons ouvert en contravention à la loi. Par le jeu du cumul des polices, la fermeture du débit ne répondant pas aux prescriptions légales devra passer par l’ordre judiciaire exclusivement ce qui, au vu de l’encombrement des parquets revient à rendre la loi ineffective.

Le même problème est à pointer en ce qui concerne les night-shops, commerces combien problématiques en matière de criminalité organisée puisque très souvent le siège d’infraction de blanchiment d’argent entre autres. Ainsi, la loi du 10 novembre 2006 permet à tout commerce qui se revendique vendeur principal de journaux, tabac ou DVD d’être dispensé de toute condition d’horaire et de tout contrôle relatif à leur implantation par la commune.

Par ailleurs, mieux asseoir la compétence des communes en matière de tranquillité et de sécurité publiques lorsqu’il s’agit de régir les horaires de fermeture des établissements Horeca, festifs ou commerciaux sur son territoire semblerait être un levier important pour l’action des pouvoirs locaux.

L’Union des Villes et Communes de Wallonie soutient que le nouveau mécanisme basé sur une enquête d’intégrité ne permettra en outre pas de rendre plus efficace l’action des communes envers les débits de boissons ou les night-shops. Tout au plus, une charge de travail imposante et supplémentaire verra le jour. Un double encodage de dossiers et une double enquête devront être menés. Les communes devront exiger des exploitants l’introduction de deux dossiers différents et l’obtention d’une double autorisation. Nous pensons que, sans une assise intégrale des municipalités sur le maintien de l’ordre public au sens strict, aucun renforcement adéquat ne peut être apporté par les autorités communales en matière de lutte contre la criminalité.

b. Inscrire l’approche administrative de la lutte contre la criminalité organisée dans une coopération entre les acteurs judiciaires, policiers et administratifs

On ne peut toutefois pas nier que le rôle des pouvoirs locaux peut être important dans la lutte contre la criminalité organisée qui se cache dans le tissu social sous couvert d’activités ou d’entreprises soumises à permis ou autorisations locales.

On rappellera ici, par exemple, la philosophie du projet PAALCO (Pour une Approche Administrative de Lutte contre la Criminalité Organisée) qui est un projet-pilote né d’un partenariat entre le Gouverneur de la Province de Namur et la Police fédérale (DCA Namur). Un comité d’accompagnement, présidé par le Gouverneur, a été mis en place pour suivre le projet et rassemble des acteurs du monde judiciaire, policier et administratif avec notamment le Procureur du Roi, des représentants de la Région wallonne, des Services publics fédéraux, etc. (projet financé par l’UE et la Police fédérale).

Le projet PAALCO Namur vise notamment à sensibiliser l’ensemble des acteurs à l’approche administrative de lutte contre la criminalité organisée et plus particulièrement les autorités administratives locales, à l’utilisation de leurs outils juridiques, administratifs et structurels dans le cadre de cette approche de la criminalité.

S’il convient de donner de bons outils juridiques aux communes pour qu’elle gère l’ordre public, il convient que ces outils restent dans le domaine de la protection de cet ordre public. Les communes doivent rester dans leur rôle et c’est dans leur rôle qu’elles peuvent aider les autres institutions (police, parquet, justice, etc.).

La collaboration entre les différents acteurs, chacun dans leur rôle, est également essentielle et déjà prévue dans la législation via l’article 29 du Code d’instruction criminelle qui énonce ce qui suit : « Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public (…) qui, dans l'exercice de ses fonctions acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu de donner avis sur-le-champ au procureur du Roi près le tribunal dans le ressort duquel ce crime ou ce délit aura été commis ou dans lequel l'inculpé pourrait être trouvé, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

Cette collaboration entre les acteurs judiciaires, policiers et administratifs (pouvoirs locaux) doit être soutenue et renforcée et pourrait faire l’objet d’un dispositif structurel dans le cadre de cet avant- projet (et soutenu financièrement par le budget fédéral). Nous espérons que le Centre d’expertise et d’informations d’arrondissement pourra jouer ce rôle.

6. Conclusion

L’Union des Villes et Communes de Wallonie souligne différentes difficultés rencontrées par cet avant-projet en lien avec la séparation des pouvoirs, la liberté de commerce et d’industrie et la responsabilité du bourgmestre. A cet égard, c’est singulièrement l’enquête d’intégrité qui doit être relevée comme source de difficulté majeure pour les pouvoirs locaux tant les moyens dont elle relève s’apparentent à l’ordre judiciaire, s’éloignent trop des questions d’ordre public et semblent être un pis-aller lié au manque de moyens de la police judiciaire et de la justice.

L’Union des Villes et Communes de Wallonie reconnaît néanmoins que des mesures doivent être prises, mais que certaines solutions proposées par l’avant-projet ne correspondent pas aux attentes de terrain.

Ainsi, dans le cadre de cet avant-projet de loi :

-        certaines mesures sont intéressantes pour protéger l’ordre public (il en est ainsi des modifications proposées aux articles 134ter, quinquies, sexies et septies de la nouvelle loi communale ainsi qu’à la loi 24 février 1921) ; l’Union souligne, en effet, l’intérêt de ces modifications apportées à la nouvelle loi communale, lesquelles donnent adéquatement des moyens d’action complémentaires aux communes pour assurer l’ordre public ;

-        certaines législations ont été oubliées et doivent être révisées rapidement (débits de boissons, night shop, etc.) ; les lois du 10 novembre 2006 relatives aux heures d’ouverture dans le commerce l’artisanat et les services, du 3 avril 1953 relative aux débits de boissons fermentées et du 28 décembre 1983 sur la patente pour le débit de boissons spiritueuses doivent, à l’estime de l’UVCW, être prioritairement et impérativement actualisées pour assurer leur effectivité et, le cas échant, permettre leur bonne articulation avec le présent avant-projet ;

-        la collaboration entre les acteurs judiciaires, policiers et administratifs (pouvoirs locaux) doit être soutenue et renforcée et devrait faire l’objet d’un dispositif structurel et soutenu financièrement par le budget fédéral;

-        certaines mesures relevant davantage de l’ordre judiciaire et dénaturant le rôle des pouvoirs locaux ne peuvent être acceptées (cf. l’enquête d’intégrité) ;

-        le rôle de l’article 29 du Code d’instruction criminelle semble avoir été omis dans la lutte contre la criminalité subversive ;

-        des garanties d’ordre pratique et financier doivent en outre impérativement être données aux pouvoirs locaux quant à la mise en œuvre des mesures permettant la bonne gestion de l’ordre public.

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Date de mise en ligne
23 Mars 2022

Auteur
Sylvie Smoos

Type de contenu

Matière(s)

Police administrative
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