ETS 2 : De quoi parle-t-on ? Quel est l’impact en matière de marchés publics ?
Dans les prochaines années, la mise en place d’un système ETS 2 au niveau européen va impacter d’une forme de « surcharge » les consommations d’énergie fossiles pour le chauffage des bâtiments et le transport. Les fournisseurs d’énergie seront alors tenus de répercuter cette surcharge dans la facture des consommateurs. Comment prendre en compte cette future surcharge dans les marchés publics d’énergie ?
I. CONTEXTE : LE SYSTEME ETS
Depuis le 1er janvier 2005, l'Union européenne dispose d'un système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre (SEQE UE en français), aussi dénommé European Emissions Trading System (EU ETS en anglais), s’appliquant aux grandes installations industrielles et au secteur de l’aviation[1] et, depuis 2024 aux émissions du transport maritime.
Ce système repose sur le principe du pollueur payeur. En pratique, un plafond annuel absolu d’émissions de gaz à effet de serre (GES) est fixé, au niveau européen, pour les secteurs et installations visés par l’ETS. Ce plafond diminue au fil des ans. À ce plafond correspondent des quotas (c-à-d des droits) d’émission. Les quotas sont en partie attribués directement à certains industriels et au secteur aérien, de manière à maintenir la compétitivité de certains secteurs et, pour l’autre partie, mis aux enchères. Si l’entreprise parvient à réduire suffisamment ces émissions de GES, elle se constitue un surplus de quotas qu’elle peut revendre à une entreprise qui ne parvient pas à réduire suffisamment ses émissions de GES et ne dispose donc pas assez de quotas. Ce dispositif, qui couvre 40 % des émissions de GES de l’Union européenne, a créé un marché du carbone qui s’est révélé efficace pour réduire les émissions de GES puisqu’elles ont diminué de 47 % en 2023 par rapport au niveau de 2005 dans les secteurs couverts par l’ETS.
II. LE NOUVEAU SYSTÈME ETS 2
Que vise-t-il ?
Sur base des résultats du système ETS décrit ci-dessus, et en vue de d’atteindre les objectifs climatiques de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, l’Union européenne a décidé de mettre en place un système parallèle et distinct, dénommé ETS 2, qui s’appliquera au chauffage des bâtiments, au transport routier, ainsi qu’à d’autres secteurs (principalement des petites entreprises) qui ne sont pas couverts par l’ETS actuel. Les Etats membres ont en outre une possibilité de réaliser un « opt-in » c’est-à-dire d’étendre le système à d’autres secteurs.
L’ETS 2 est un système « Cap and trade » de plafonnement des émissions. Ce plafond est établi de manière à atteindre une réduction de 43 % des émissions en 2030 par rapport à 2005 pour les secteurs du bâtiment et du transport routier et de 42 % pour les autres secteurs couverts par l’ETS 2.
L’ETS 2 vient en complément d’autres politiques du Pacte Vert pour l’Europe afin d’accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs couverts par l’ETS 2. En effet, celles-ci sont actuellement insuffisantes pour atteindre l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050 que s’est fixé l’Union européenne. Concrètement, le système aura pour action de limiter progressivement la mise sur le marché de combustibles et carburants fossiles (pétrole et dérivés, gaz, charbon) de manière à respecter les émissions totales de gaz à effet de serre fixées par les objectifs climatiques européens. Le prix du carbone fixé par l’ETS 2 constitue un incitant à investir dans la rénovation des bâtiments et dans la mobilité à faibles émissions.
Comment l’ETS 2 va-t-il être mis en œuvre ?
Comme l’ETS actuel, l’ETS 2 consiste en un système de plafonnement et d’échange d’émissions. Cependant, l’ETS 2 couvrira les émissions en amont : ce seront les fournisseurs de combustibles et de carburants (et non les consommateurs finaux) qui devront déclarer leurs émissions et restituer suffisamment de quotas pour les couvrir. Les fournisseurs de combustibles et de carburants seront donc les entités réglementées et devront acheter les quotas d’émissions lors de ventes aux enchères, dont ils répercuteront le coût sur le prix des combustibles et carburants.
À combien va s’élever le coût répercuté sur les consommateurs ?
Les fournisseurs de combustibles devront acheter les quotas d’émissions lors de ventes aux enchères. Le prix du quota d’émissions n’est par conséquent pas connu ni le montant de la surcharge qui sera répercutée sur le prix des combustibles et carburants[2]. L’Union européenne a la volonté, au moins jusqu’à 2029, de tenter de contrôler le prix du carbone pour qu’il ne dépasse pas 45 €/tonne en 2030. En cas d’augmentation excessive des prix, il est prévu que des quotas de CO2 supplémentaires soient injectés via un mécanisme de « réserve de stabilité du marché ». Il n’y a cependant pas de garantie que le niveau de prix puisse être maintenu.
À quoi vont servir les recettes de l’ETS 2 ?
Environ 25 % des revenus de l’ETS 2 seront versés dans le Fonds social pour le Climat, qui sera doté d’un maximum de 65 milliards d’euros, et seront utilisés pour soutenir les ménages vulnérables et les utilisateurs de transport vulnérables ainsi que les microentreprises vulnérables. Le montant revenant à la Belgique s’élève à 1,66 milliard d’euros pour la période 2026-2032 (un peu moins si l’ETS 2 n’entre pas en vigueur en 2027 mais bien en 2028) auquel il faut ajouter un cofinancement de 25 % de l’Etat membre. Un montant de 2 milliards d’euros serait ainsi disponible au niveau belge dans le cadre du Plan social climat. Pour accéder au Fonds social climat, la Belgique doit élaborer un Plan social climat (soumis à consultation publique), comportant des mesures concrètes et précises, à remettre à l’Europe pour fin juin 2025. Les investissements et mesures qui pourront être financées par ce Plan portent sur la réduction de la dépendance aux combustibles et carburants fossiles dans les bâtiments et le transport (mesures visant l’augmentation de l’efficacité énergétique des bâtiments et la décarbonation de la chaleur et du refroidissement, l’intégration d’énergie renouvelable, l’augmentation de la mobilité et des transports basses émissions et zéro émission). De plus, le texte mentionne explicitement un soutien direct possible aux revenus via des chèques par exemple (limité à un certain montant du coût du Plan).
Les 75 % de recettes restantes seront réparties entre les Etats membres (la clé de répartition alloue 3,9 % à la Belgique) et devront également être utilisées pour atténuer les impacts sociaux de l’ETS 2 sur acteurs les plus vulnérables, par des mesures relatives à la décarbonation du chauffage et du refroidissement des bâtiments, des mesures destinées à accélérer l’adoption de véhicules à émissions nulles ou à soutenir financièrement le déploiement d’infrastructures pour leur recharge, des mesures visant à encourager le recours aux transports publics, etc.
Quand l’ETS 2 entrera-t-il en vigueur ?
L’ETS 2 sera opérationnel en 2027. Cependant, en cas de prix du gaz ou du pétrole exceptionnellement élevés en 2026, le système pourrait être reporté à 2028 (article 30 duodecies de la directive 2003/87/CE).
Quelle est la base légale ?
La directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union[3] introduit dans cette dernière le « Chapitre IV bis – Système d’Echange de Quotas d’Emission pour les bâtiments, le Transport Routier et Autres Secteurs » comprenant les articles 30 bis à 30 quaterdecies.
L’annexe III amendée de la directive 2003/87/CE liste les activités couvertes par l’ETS 2.
III. IMPACT SUR LES MARCHÉS PUBLICS DE FOURNITURE DE COMBUSTIBLES ET DE CARBURANTS
Les pouvoirs locaux passent généralement leurs marchés de fourniture d’énergie pour plusieurs années (au maximum 4 ans). Certains marchés vont donc arriver à échéance et être relancés avant l’entrée en vigueur de l’ETS 2 et que toutes ses modalités de mise en œuvre soient définies.
Or, en vertu de la législation, les fournisseurs devront répercuter la surcharge découlant de l’application de l’ETS 2 sur les consommateurs.
La réglementation des marchés publics permet d’anticiper ce cas de figure, conformément à l’article 38 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics (RGE) :
« Une modification peut être apportée sans nouvelle procédure de passation de marché, lorsque, quelle que soit sa valeur monétaire, elle a été prévue dans les documents du marché initial sous la forme d'une clause de réexamen claire, précise et univoque.
Les clauses de réexamen indiquent le champ d'application et la nature des modifications possibles ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage. Elles ne permettent pas de modifications qui changeraient la nature globale du marché ou de l'accord-cadre. »
À noter que si le montant estimé du marché est inférieur à 30 000 euros htva et que les RGE ne sont pas expressément rendues applicables par le pouvoir adjudicateur (art. 5, al. 2, et 6, § 5), la référence à l’article 38 n’est plus pertinente. Néanmoins, rien n’empêche de quand même prévoir une telle clause de réexamen.
Clause de réexamen relative à la surcharge ETS 2
Afin d’anticiper l’entrée en vigueur prochaine de l’ETS 2, nous vous invitons à intégrer une clause de réexamen dans les marchés de fourniture de combustibles fossiles et de carburants que vous allez passer.
L’exemple de clause suivant est proposé :
« A compter de l’entrée en vigueur du mécanisme ETS 2 et de l’obligation pour le fournisseur d’énergie de répercuter la surcharge en découlant sur le montant dû par le client, celle-ci sera portée en compte du pouvoir adjudicateur à l’occasion de chaque facturation, [aussi longtemps que la directive n’est pas transposée en droit interne :] conformément aux réglementations nationales ou régionales qui transposeront la directive 2023/959 [OU] [lorsque la directive sera transposée en droit interne :] conformément aux mesures d’exécution et modalités arrêtées par les autorités compétentes conformément à la directive européenne 2023/959, soit la loi […] et/ou le décret […] et/ou l’arrêté du gouvernement wallon […]. »
[1] Environ 10.000 entreprises des secteurs de production de chauffage et d’électricité, des secteurs industriels à forte intensité énergétique (raffineries, sidérurgies, ciment, production de verre et de papier) ainsi que de l’aviation commerciale (vols au sein de l’espace économique européen). Source : https://climat.be/politique-climatique/europeenne/echange-de-quotas-d-emission
[2] Lors d’un webinaire organisé par Canopea le 14 novembre 2024, Vincent Van Steenberghe, spécialiste des politiques climatiques au SPF Santé publique, sécurité de la chaîne alimentaire et environnement, évoque une tarification estimée de 45 €/tonne de CO2 dans l’ETS 2 à l’horizon 2030 et une « surcharge » correspondante qui s’élèverait à 0,12 €/litre pour le diesel et le mazout, à 0,10 €/litre pour l’essence et à 0,0089 €/kwh pour le gaz. Voir : https://www.canopea.be/un-prix-carbone-pour-les-voitures-et-le-chauffage-risque-ou-opportunite/
[3] Directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union et la décision (UE) 2015/1814 concernant la création et le fonctionnement d’une réserve de stabilité du marché pour le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE), J.O.U.E. 16.5.2023
Marchés publics : Marie-Laure Van Rillaer - Elodie Bavay - Mathieu Lambert
Lire aussi en Energie
Formations - Energie
- Energie - Pratique de la médiation entre locataire et propriétaire : formation de base
- La transition énergétique
- Le développement territorial
- Utilisation des outils de contrôle de la PEB
- Comment mener une étude thermographique ?
- Webinaires : Que peut faire ma commune en matière de gestion énergétique ?