Bail à ferme – Peut-on conclure un contrat saisonnier ?
Afin de ne pas être soumise à la règlementation sur le bail à ferme, notre commune envisage de conclure un contrat saisonnier. Est-ce possible?
De manière synthétique, il y a bail à ferme dès lors que, cumulativement, il y a:
- un bail
- portant sur un bien immeuble (à savoir un terrain et le cas échéant un bâtiment)
- affecté à l’exploitation agricole
- en ordre principal
- dès l’entrée en jouissance du locataire ou de l’accord des parties en cours de bail.
Soulignons d’emblée que l’existence d’un contrat de bail implique nécessairement le paiement d’une contrepartie à savoir un loyer (appelé « fermage » en matière de bail à ferme). En outre, rappelons qu’aucun contrat de bail n’est envisageable sur un bien du domaine public.
Dès que les cinq conditions précitées sont réunies, le contrat à titre onéreux unissant l’occupant et le propriétaire est un bail à ferme et la législation impérative y relative devra être respectée. Cette législation emporte d’importantes conséquences sur le contrat. Elle impose notamment aux communes et établissements publics de procéder à l’adjudication de la location de leurs biens ruraux par voie de soumission. Elle limite également le fermage en fixant un plafond légal. La durée du contrat, les possibilités pour les parties d’y mettre fin prématurément, les modalités de préavis ou encore les indemnités de rupture sont également strictement encadrées par la législation, restreignant ainsi fortement les droits du propriétaire bailleur quant à la récupération de son bien.
Dès lors, bon nombre de bailleurs sont tentés d’avoir recours à des mécanismes juridiques permettant d’échapper à l’application de la loi sur le bail à ferme et ce, afin de leur offrir une plus grande liberté dans la mise à disposition de leur bien. L’article 2 de la loi du 4 novembre 1969 fixant les règles particulières en matière de bail à ferme détermine une série d’exceptions pour lesquelles la législation sur le bail à ferme n’est pas applicable.
La plus fréquemment utilisée est celle des contrats saisonniers, appelés aussi « contrats de culture ». L’article 2, 2° en précise le champ d’application. Il s’agit ainsi des « conventions dont l'objet implique une durée d'occupation inférieure à un an et par lesquelles l'exploitant de terres et de pâturages, après avoir effectué les travaux de préparation et de fumure, en accorde, contre paiement, la jouissance à un tiers pour une culture déterminée ».
Pour bénéficier de cette exception, le propriétaire bailleur doit donc être un « exploitant de terres et pâturages ». Or, l’autorité locale ne peut être considérée comme tel[1]. De plus, cet exploitant doit avoir préalablement effectué des travaux de préparation et de fumures. Par conséquent, le recours à la notion de contrat de culture par un pouvoir public n’est pas possible. Pour les contrats déjà conclus, le fermier pourrait valablement revendiquer une requalification de son contrat en bail à ferme, avec toutes les conséquences que celle-ci peut avoir.
Il existe cependant trois exceptions qui pourraient le cas échéant être avancées par l’autorité publique pour éviter l’application de la législation sur le bail à ferme. Ces trois exceptions sont :
- Le fait pour le pouvoir public d’avoir conclu une convention à titre précaire[2]. Une convention d’occupation précaire permet de déroger aux règles établies dans le cadre du contrat de bail. Toutefois, le recours à ce type de convention doit se faire pour un motif bien particulier qui justifie la nécessité pour le pouvoir public de disposer du terrain à tout moment. Ainsi, par exemple, si lors de la conclusion du contrat initial, l’autorité locale envisageait déjà de vendre les terrains, on pourrait considérer cela comme un motif suffisant.
Notons que, pour ce faire, l’économie générale du contrat devra en principe n’impliquer aucun engagement de la part du propriétaire. Ainsi, il paraîtrait difficile d’avancer qu’il s’agit d’une convention d’occupation à titre précaire si, les termes mêmes du contrat empêchent le propriétaire d’y mettre fin à tout moment.
L’appréciation du motif et de la validité de la convention d’occupation précaire sera soumise à l’appréciation souveraine du juge, si ce dernier est appelé à connaître d’un différend. Pour éviter tout risque de requalification du contrat, insistons sur l’importance d’éviter de mentionner dans le contrat les termes « bail », une référence à la loi du 4 novembre 1969 relative au bail à ferme ou encore le fait que la contrepartie corresponde au fermage légal.
- Ensuite, l’article 1712 du Code civil précise que « les baux des biens nationaux, des biens des communes et des établissements publics, sont soumis à des règlements particuliers ». Selon cet article, une commune ou un CPAS pourrait écarter certaines dispositions impératives du bail à ferme.
Il existe cependant une réelle incertitude quant à l’étendue de l’application de cet article. Un arrêt de la Cour d’arbitrage a cependant admis que le bail conclu par une commune pouvait déroger au droit commun du bail[3]. Cette jurisprudence n’a cependant jamais été confirmée et le doute persiste quant à savoir si la simple invocation de l’article 1712 du Code civil permet d’écarter l’entièreté de la législation sur le bail à ferme. La prudence requiert sans doute de n’écarter, de manière motivée, que des dispositions spécifiques de la législation.
- Enfin, il convient de vérifier si les biens mis à disposition ne sont pas des sarts communaux. Les « sarts communaux » sont des biens communaux ruraux, dont la jouissance est individuelle, qui historiquement étaient des terres gagnées sur la forêt, éloignées du centre habité et souvent de qualité médiocre[4]. L’usage de ces biens n’est donc pas régi par la législation sur le bail à ferme. La frontière entre sarts communaux et les autres biens est souvent délicate. Afin de définir ces sarts, il est sans doute utile d’examiner les conventions antérieures sur les biens en question. Si ces conventions indiquaient « mise à disposition de sarts communaux », ces biens ont sans doute toujours été considérés comme tels.
Notons enfin que d’autres exceptions, très spécifiques toutefois, existent également et sont reprises à l’article 2 de la loi sur le bail à ferme. Nous nous permettons de renvoyer le lecteur vers le contenu de cet article.
[1] Notons toutefois que la Cour d’appel de Liège a pris un arrêt précisant que l’article 2, 2° de la loi visait également l’exploitant non agricole. En l’espèce, il s’agissait d’un boucher retraité [Liège, 2.4.1998, R.G.D.C., 2000, p. 302]. Il s’agit toutefois d’une décision judiciaire isolée et contraire à l’ensemble de la doctrine et la jurisprudence existantes à ce sujet. Il est donc risqué de se fonder sur cette jurisprudence pour considérer cette condition comme remplie.
[2] Pour plus d’informations sur les occupations à titre précaire, v. A. Ponchaut, Les occupations précaires de bâtiments et terrains communaux, Mouv. comm., 12/2012, p. 25 ou http://www.uvcw.be/actualites/2,129,1,0,4510.htm
[3] C.A., 12.3.2003, n° 32/2003, M.B. 16.7.2003, p. 3822 ; v. également P. Blondiau, Les communes et l’application de la loi relative aux baux commerciaux… quelques éclaircissements, 12/2003, http://www.uvcw.be/articles/3,815,2,0,167.htm
[4] V. E. Beguin, La répartition des sarts communaux, 2/2002, http://www.uvcw.be/articles/3,8,2,0,170.htm