Ce document, imprimé le 29-05-2025, provient du site de l'Union des Villes et Communes de Wallonie (www.uvcw.be).
Les textes, illustrations, données, bases de données, logiciels, noms, appellations commerciales et noms de domaines, marques et logos sont protégés par des droits de propriété intellectuelles.
Plus d'informations à l'adresse www.uvcw.be/info/politique-confidentialite
Mis en ligne le 14 Avril 2017

Notre commune souhaite procéder à une vente d’herbe. Y a-t-il un risque de requalification du contrat en bail à ferme ? Faut-il passer un marché public ? 

 

Le contrat de vente d’herbe est une convention par laquelle une certaine quantité d’herbe, le plus souvent sur pied, est transférée à un acquéreur moyennant le paiement d’un prix.

Comme d’autres[1], nous estimons que ces contrats constituent des ventes de meubles par anticipation[2].

En termes de compétence, au sein des communes, l’initiative, la fixation des conditions ainsi que le choix de la procédure relèvent de la compétence du conseil communal, sauf en cas de délégation au collège, conformément à l’article L1222-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation. A noter que pour les CPAS, cette compétence appartient au conseil de l’action sociale, sauf délégation au bureau permanent, conformément à l’article 76 de la loi organique.

La vente d’herbe, au sens strict, n’est pas un bail dans la mesure où elle n’implique pas l’octroi d’un droit de jouissance. Elle autorise en effet l’accès au terrain uniquement pour la récolte de l’herbe sur pied, à une période prédéterminée, sans possibilité pour le fermier d’utiliser la parcelle à d’autres fins. La récolte de l’herbe doit donc se faire par fenaison exclusivement, et non par « broutage ».

Requalification en bail à ferme ?

La question de l’application de la loi sur le bail à ferme n’est pas dénuée d’intérêt. En effet, une requalification du contrat en bail à ferme entraînerait, par voie de conséquence, l’encadrement très strict de la relation entre les parties (durée, possibilités de résiliation très limitées dans le chef de la commune, indemnités de rupture, etc.).

Il y a bail à ferme lorsque, cumulativement, il y a bail portant sur un immeuble, bâti ou non, et que cet immeuble est affecté principalement par le locataire à une exploitation agricole, exercée de manière professionnelle. La première de ces conditions (le bail) implique donc de conférer un droit de jouissance du bien au fermier.

Comme expliqué, la vente d’herbe consiste à vendre de l’herbe à couper sur une parcelle. Cette vente se fait sans droit de jouissance pour le fermier. Celui-ci ne peut pénétrer sur les lieux que pour récolter l’herbe qu’il a achetée. Comme le résument les auteurs Étienne Béguin et Alain Caprasse : « Pour autant que l’acquéreur ne se voie pas reconnaître le droit de laisser paître son bétail sur le bien, il ne tombe pas dans le champ d’application du bail à ferme dans la mesure où ils ne sont pas constitutifs de baux »[3].

Afin d’éviter toute requalification, une attention particulière sera portée à la limitation des droits conférés au cocontractant de l’autorité publique (interdiction de faire paître du bétail, de procéder à des semailles, d’amender le sol, etc.). L’autorité veillera également à réagir en cas de non-respect de ces limitations, de manière à marquer explicitement son opposition et à préserver la qualification juridique de la convention.

Par ailleurs, l’emploi de certaines terminologies sera évité dans la rédaction du contrat : il y aura lieu de parler d’un « prix de vente » plutôt que d’un « fermage », et d’un « vendeur » et d’un « acquéreur » plutôt que d’un « bailleur » ou d’un « locataire ». La limitation du fermage ne s’appliquera pas au prix de vente convenu.

Enfin, il est recommandé de ne pas conclure un contrat de vente d’herbe portant sur plusieurs années. Par mesure de prudence, la convention visera une seule récolte, quitte à organiser une nouvelle vente à une période ultérieure de l’année.

Faut-il respecter les règles applicables au marché public ?

La question se pose de savoir si un tel contrat est un contrat de vente ou un marché public. En effet, l’on pourrait considérer que la personne qui vient récolter l’herbe exécute une prestation au profit d’un pouvoir adjudicateur en échange de la récolte. Car même s’il n’y a pas le paiement d’un prix en monnaie sonnante et trébuchante par le pouvoir adjudicateur, un contrat peut être qualifié de « contrat à titre onéreux » au sens de la loi sur les marchés publics si l’on considère qu’il y a prestation de services au profit de l’administration (fauchage d’un terrain appartenant à la commune) contre une contrepartie.

La jurisprudence ne semble pas avoir été saisie de la question de l’éventuelle requalification en marché public de la vente d’herbe sur pied.

A notre sens, une telle requalification pourrait être écartée dans bon nombre de situations.

Tout d’abord, l’opération a pour objet non pas la prestation de services mais bien la vente de l’herbe en tant que bien mobilier par anticipation[4]. La commune n’a pas le statut d’acquéreur mais bien de vendeur[5]. D’ailleurs, en cas d’absence de fauchage dans le délai convenu, le contrat de vente est résolu de plein droit[6], sans possibilité donc de pouvoir exiger le fauchage[7]. La vente d’un bien meuble n’est pas en soi constitutive d’un marché public. Et s’il fallait considérer que la prestation de services liés au fauchage de l’herbe induit l’existence d’un marché public du fait de la valeur de l’herbe ainsi récupérée, c’est bien l’objet principal du contrat qui est déterminant, à savoir la vente de biens meubles par anticipation[8].

En outre, dans la mesure où la commune n’impose pas ou peu de prescriptions par rapport au fauchage, elle n’exerce pas d’influence déterminante sur la manière dont le fauchage va avoir lieu[9]. Le travail à accomplir ne fait pas l’objet de prescriptions spécifiques qui seraient l’expression d’une volonté particulière ou propre de la commune mais la conséquence logique de n’importe quelle vente d’herbe sur pied.

Par ailleurs, l’on pourrait encore arguer que la commune n’a pas d’intérêt économique direct puisque, dès la vente, elle n’est plus propriétaire de l’herbe, propriété du cocontractant[10]. La jurisprudence[11] a, à plusieurs reprises, estimé qu’en l’absence d’intérêt économique direct, il n’y avait pas de marché public.

Enfin, l’on notera que deux auteurs ont examiné une situation similaire : la vente de matériaux de construction issus d’un bâtiment à rénover ou à démolir. Pour les auteurs S. Seys et L. Billiet, il y aura « contrat de vente lorsque :

  1. le Maître d’ouvrage public ne rémunère pas la main d’œuvre de l’opérateur par un prix en argent ; et que
  2. la valeur des matériaux est nettement plus importante que la valeur de la main d’œuvre ; et que
  3. les actes de démontage et d’enlèvement ne sont pas adaptés de manière spécifique aux besoins du Maître d’ouvrage public et ils ne sont pas décrits dans les documents du marché ; et que
  4. l’opérateur paie un prix en argent au Maître d’ouvrage public en échange de la disposition des matériaux »[12].

Par conséquent, appliqué par analogie à un contrat de vente d’herbe sur pied, il convient surtout d’examiner si la valeur de l’herbe est nettement plus importante que le coût du fauchage. Ce critère pouvant être défini par le prix escompté de la vente (cf. condition n° 2).

Si les quatre conditions ci-dessus sont rencontrées, il y aura vente. Il n’y a pas réellement de législation spécifique encadrant celle-ci. Evidemment, les principes de bonne administration, d’égalité de traitement des usagers et de transparence devront être respectés dans le cadre de la conclusion du contrat, dont notamment la réalisation de mesure de publicité appropriée et préalable[13]

Si par contre une de ces quatre conditions n’est pas rencontrée, il pourrait s’agir alors d’un marché public, toujours selon ces auteurs.

Ainsi, dans les quelques cas où la situation du terrain dont question ou la configuration de celui-ci amène à devoir imposer des prescriptions particulières (par exemple : sécurisation des lieux ou complexité du travail) ou à considérer la vente de l’herbe comme présentant peu d’intérêt, l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’un marché public.

Conclusion

Par conséquent, une « vente d’herbe » assortie d’un droit de jouissance, même temporaire, est susceptible d’être requalifiée en bail à ferme. Il convient dès lors d’encadrer strictement les droits conférés dans la convention et de veiller à leur respect effectif sur le terrain.

Quant à la réglementation en matière de marchés publics, elle ne paraît pas devoir s’appliquer dans la grande majorité des cas. Toutefois, pour certains biens particuliers — tels que des terrains de très petite taille ou difficilement accessibles — la « vente d’herbe » pourrait s’analyser comme une prestation d’un service d’entretien, relevant alors potentiellement du régime des marchés publics.

 


[1] E. Beguin et A. Caprasse, Bail à ferme et droit de préemption en Région wallonne après le décret du 2 mai 2019, Larcier n°192.

[2] A savoir un bien immeuble que l’on considère juridiquement comme un meuble en raison de sa destination à être détaché (récolté) prochainement. V art. 3.48 du C. civil.

[3] E. Beguin et A. Caprasse, op. cit., n° 192.

[4] Art. 3.48 du Code civil.

[5] C.J.U.E., 25.3.2010, C-451/08, point 41.

[6] Art. 1657 C. civ.: « En matière de vente de denrées et effets mobiliers, la résolution de la vente aura lieu de plein droit et sans sommation, au profit du vendeur, après l'expiration du terme convenu pour le retirement ».

[7] C.J.U.E, 25.3.2010, C-451/08, points 84 et s. : « (…) les parties au principal n’ont pas contracté d’obligations juridiquement contraignantes (tandis que) (…) [l]es intentions dont le dossier fait état ne constituent pas des obligations contraignantes et ne peuvent nullement satisfaire à la condition de contrat écrit exigée par la notion même de marché public prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 ».

[8] Art. 21, § 2 de la loi du 17.6.2016 relative aux marchés publics, M.B., 14.7.2016.

[9] C.J.U.E, 22.4.2021, C-537/19, point 50.

[10] Art. 1657 C. civ. a contrario : « En matière de vente de denrées et effets mobiliers, la résolution de la vente aura lieu de plein droit et sans sommation, au profit du vendeur, après l'expiration du terme convenu pour le retirement ».

[11] C.J.U.E, 22.4.2021, C-537/19, point 44 ; C.E., 12.10.2015, n°232.528 ; C.E., 20.8.2019, n°245.313 ; C.E., 1.7.2022, n° 254.209.

[12] S. Seys et L. Billiet, « Extraire les matériaux réutilisables de bâtiments publics », A.P.T., 2016/1, p.9.

[13] Art. L3512-1 du CDLD.

Auteurs Conseiller(e)(s) / personne(s) de contact
Gestion du patrimoine : Alexandre Ponchaut
Marchés publics : Mathieu Lambert - Marie-Laure Van Rillaer - Elodie Bavay
Voir le catalogue complet
Assemblée générale UVCW 2025

Date de mise en ligne
14 Avril 2017

Date de mise à jour
20 Mai 2025

Type de contenu

Q/R

Matière(s)

Gestion du patrimoine Marchés publics
Activez les notifications

Soyez notifié de toutes les nouveautés dans la matière Gestion du patrimoine