Inondations d'un cours d'eau non navigable: responsabilités
Quelle est la responsabilité encourue par les communes à la suite de plusieurs inondations d’un cours d’eau non navigable de catégorie deux ?
Afin de vous apporter une réponse claire et la plus précise possible, nous allons successivement déterminer la législation en vigueur, les principes généraux découlant de celle-ci et enfin préciser les possibles responsabilités encourues par la province et la commune.
Législation en vigueur
Le décret de la Région wallonne du 27 mai 2004 relatif au Livre II du Code de l'environnement constituant le Code de l'eau prévoit de nouvelles règles concernant le régime juridique des cours d’eau non navigables ainsi que l’abrogation de la loi du 28 décembre 1967 relative aux cours d’eau non navigables. Actuellement, ces dispositions ne sont cependant pas entrées en vigueur. Le régime juridique des cours d’eau non navigables ainsi que leur mode de gestion sont donc toujours réglés par la loi du 28 décembre 1967 (ci-après "la Loi").
La Loi classe les cours d’eau non navigables en trois catégories et désigne pour chaque catégorie l’autorité en charge des travaux ordinaires (art. 6 - art. 9) et extraordinaires (art. 10 - art. 13). Comme nous analysons en l’espèce le sort d’un cours d’eau non navigable de catégorie deux, il faudra par conséquent se référer à l’article 7, par. 2, de la Loi qui prévoit que les travaux dits ordinaires au sens de l’article 6 de la Loi (curage du cours d’eau, l’arrachage ou l’enlèvement de dépôts sur les rives, …) doivent être exécutés par la province. L’exécution des travaux dits extraordinaires aux sens de l’article 10 de la Loi (l’approfondissement ou l’élargissement du cours d’eau, modification du lit, …) est à charge de la province sous la tutelle de la Région wallonne conformément à l’article 11, par. 2, de cette même loi. Nous nous permettons de préciser que seule la réalisation des travaux dits ordinaires constitue une obligation pour la province, la réalisation des travaux dits extraordinaires étant laissée à l’appréciation souveraine de la province.
Responsabilités
Généralités
La question de la responsabilité civile des gestionnaires des cours d’eau non navigables n’étant pas réglée dans la Loi, il faut se référer aux règles de droit commun de la responsabilité contenues dans le Code civil. Une personne physique ou morale, de droit public ou privé, voit généralement sa responsabilité civile engagée sur base des articles 1382 et suivants du Code civil (responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle).
La responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ne peut être engagée que par la réunion de plusieurs conditions:
- présence d’une faute imputable: celle-ci peut consister en un acte positif ou un acte négatif. On parlera généralement dans le premier cas de faute par commission, dans le second de faute par omission;
- présence d’un dommage: la notion est très large et doit être entendue comme toute atteinte à un intérêt légitime;
- présence d’un lien causal entre la faute et le dommage. En Belgique, la jurisprudence considère que la condition du lien causal est remplie dès lors que sans le fait fautif le dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est effectivement produit (théorie d’équivalence des conditions).
Par ailleurs, nous soulignons que, de par l’évolution de la jurisprudence sans cesse plus stricte en matière de responsabilité civile des pouvoirs publics gestionnaires, la doctrine constate la grande difficulté qu’ont ceux-ci à s’exonérer de leur faute en cas d’inondations .
Responsabilité de la province
Comme précisé ci-dessus, l’autorité gestionnaire du cours d’eau non navigable de catégorie deux est la province. Par conséquent, la responsabilité de cette dernière pourrait être engagée sur base de l’article 1382 du Code civil dans l’hypothèse où les inondations sont la conséquence de l’inexécution des travaux ordinaires (faute par omission) ou la mauvaise réalisation de ceux-ci (faute par commission).
Par ailleurs, selon nous, si les inondations pouvaient être évitées par la réalisation de travaux dits extraordinaires, la responsabilité de la province pourrait être plus difficilement engagée sur base de l’article 1382 du Code civil puisque la réalisation de tels travaux n’est pas une obligation pour la province et dès lors elle n’aurait, a priori, commis aucune faute. Néanmoins, cette possibilité n’est pas totalement exclue dans l’hypothèse où la province n’aurait pas agi comme une autorité diligente. Par contre, si la province a effectué des travaux extraordinaires et que la source des inondations est l’exécution ou la mauvaise exécution de ces travaux, il ne fait aucun doute que sa responsabilité puisse être engagée.
Responsabilité des communes
Rappelons d’emblée que la commune, pour ce type de cours d’eau, n’est pas le gestionnaire légal, l’inexécution totale ou partielle des obligations imposées par la Loi au gestionnaire ne pourrait pas engager sa responsabilité.
Les communes pourraient cependant voir leur responsabilité engagée sur base de l'article 1382 du Code civil.
L’article 135 de la nouvelle loi communale met à charge de la commune une obligation générale de sécurité. Ceci n’implique pas que l’autorité communale doit agir en lieu et place de l’autorité gestionnaire. Toutefois, lorsque la commune a connaissance d’une situation dangereuse sur son territoire, elle doit prendre toutes mesures immédiates et adéquates afin de rétablir la sécurité en attendant que les services compétents interviennent pour remédier à la situation. La Cour de Cassation a explicitement affirmé que l’obligation de sécurité découlant de l’article 135 de la nouvelle loi communale est une obligation de moyen. La commune n’a donc pas l’obligation d’atteindre le but poursuivi, en l’espèce empêcher toute nouvelle inondation, mais doit mettre tout en œuvre pour atteindre celui-ci.
Concrètement, la commune doit prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir tout danger anormal, à défaut du respect de cette obligation (violation de la NLC, art. 135), une faute au sens de l’article 1382 pourrait lui être reprochée. Par conséquent, lorsque la commune a connaissance d’un tel danger, par exemple la possibilité de dommages causés par des inondations, elle doit tenterde le neutraliser. Son intervention peut se matérialiser de diverses manières: la signalisation du danger, l’avertissement de la population des risques d’inondations ou la distribution de sacs de sable. Il semble peu probable que la commune doive entreprendre les travaux que la province aurait dû effectuer. En cas d’inaction totale, la commune pourrait éventuellement se voir reprocher une faute qui, le cas échéant, l’obligera à payer des dédommagements aux personnes lésées.
Nous précisons qu’il est très difficile d’évaluer quelle sera la mesure considérée comme adéquate par le juge. Le juge pourrait considérer que la simple information à la population suffit à exonérer la commune de toute responsabilité, tout comme il pourrait juger celle-ci insuffisante. La rapidité d’intervention de la commune et le temps qui lui est imparti pour agir sont deux éléments qui sont en général déterminants pour le juge. Dès lors, si la commune dispose d’un court laps de temps pour agir, la simple information sera sans doute suffisante, par contre, si elle dispose d’un laps de temps assez long pour lui permettre d’entreprendre une action de plus grande envergure comme l’érection d’un barrage flottant ou la distribution de sacs de sable, il sera vraisemblablement jugé qu’elle aurait dû l’effectuer.
Enfin, si l’inondation est causée par l'inexécution de travaux ordinaires, on peut affirmer que, dans tous les cas, la responsabilité de la commune ne pourrait être engagée seule dans un tel cas. En effet, conformément à la théorie de l’équivalence des conditions, la responsabilité de la province reste engagée quand bien même il serait prouvé que la commune n’a pas convenablement exécuté ou n’a pas exécuté ses obligations de sécurité.
Il est intéressant de noter que la commune pourra, si elle le désire, intenter une action sur base de l'article 1382 du Code civil contre la province afin de réclamer le remboursement des frais engagés pour faire face aux manquements de cette dernière ainsi que des indemnités couvrant tous les dommages subis par la commune elle-même.
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