Assurance obligatoire de la responsabilité décennale des entrepreneurs – Quel impact sur les marchés publics ?
Est entrée en vigueur le 1er juillet 2018, la loi relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité civile décennale des entrepreneurs, architectes et autres prestataires du secteur de la construction de travaux immobiliers[1].
Que vise-t-elle ?
L’obligation d’assurer sa responsabilité civile est soumise à plusieurs limitations ou conditions qui restreignent (fortement) sa portée :
- elle concerne les architectes, entrepreneurs et autres prestataires du secteur de la construction de travaux immobiliers (tels que les bureaux d’études mais à l’exclusion du promoteur immobilier)[2], mais pour les entrepreneurs et autres prestataires uniquement s’ils collaborent là où l’intervention de l’architecte est obligatoire[3] ;
- elle ne vise que les travaux immobiliers exécutés en Belgique[4] ;
- elle n’a trait qu’aux habitations situées en Belgique ; par habitation, on entend un bâtiment qui, depuis le début des travaux immobiliers, par sa nature, est destiné totalement ou principalement à être habité par une famille éventuellement unipersonnelle (à l’exclusion des chambres situées dans les logements collectifs, soit les bâtiments où au moins une pièce d’habitation ou un local sanitaire est utilisé par plusieurs personnes n’ayant pas toutes entre elles un lien familial)[5] ; les sociétés de logement de service public sont ainsi les plus concernées, parmi les pouvoirs adjudicateurs locaux ;
- elle ne concerne que la responsabilité civile au sens des articles 1792 et 2270 du Code civil pour une période de 10 ans à partir de l’agréation des travaux, limitée à la solidité, la stabilité et l’étanchéité du gros œuvre fermé lorsqu’il n’est pas mis en péril la solidité ou la stabilité de l’habitation[6] ; cela ne concerne donc pas n’importe quelles malfaçons ;
- certaines exclusions sont par ailleurs prévues[7] : on notera par exemple les dommages apparents ou connus par l’assuré au moment de la réception provisoire ou résultant directement de vices, défauts ou malfaçons connus de lui au moment de ladite réception[8] ;
- enfin, la couverture minimale imposée est de 500.000 euros pour tout bâtiment dont la valeur de reconstruction dépasse ce montant ; elle correspond à la valeur de reconstruction lorsque cette valeur est inférieure à 500.000 euros ; autrement dit, la couverture est en pratique limitée à 500.000 euros sauf éventuelles dispositions contractuelles contraires (cf. infra).
La loi prévoit que cette assurance peut être contractée soit sous la forme d’une police annuelle, soit sous la forme d’une police par projet[9].
Quel contrôle ?
En termes de contrôle du respect de cette obligation (nouvelle pour les entrepreneurs et autres prestataires du secteur), la loi prévoit d’une part une obligation de communiquer une attestation d’assurance et d’autre part toute une série d’avertissements, transactions et amendes pénales (jusqu’à 10.000 euros).
En effet, en ce qui concerne les architectes, la loi prévoit que les entreprises d’assurance sont tenues de délivrer au plus tard le 31 mars de chaque année au Conseil de l’Ordre des Architectes une liste électronique reprenant les architectes ayant conclu un contrat d’assurance. Par ailleurs, la convention d’architecture doit reprendre le nom de l’entreprise d’assurance, le numéro de police et les coordonnées du Conseil de l’Ordre des Architectes.
En ce qui concerne les entrepreneurs et les autres prestataires du secteur, ils doivent avant l’entame de tout travail immobilier, remettre une attestation d’assurance au maître de l’ouvrage et à l’architecte[10].
Du changement pour les architectes ?
Il est à noter que cette loi remplace l’obligation qu’avaient les architectes de se couvrir pour leur responsabilité civile (y compris décennale) par une obligation d’assurer leur responsabilité civile uniquement décennale (telle que visée aux articles 1792 et 2270 du Code civil)[11]. Toutefois, leur assurance en responsabilité civile complète reste une obligation déontologique.
Quelle date d’entrée en vigueur ?
La loi s’applique aux travaux immobiliers pour lesquels le permis d’urbanisme définitif a été délivré après le 1er juillet 2018[12].
Quelle conséquence pour les pouvoirs locaux ?
Sous l’angle des marchés publics des pouvoirs locaux, cette entrée en vigueur ne devrait pas causer de difficulté notable en raison d’une part d’un champ d’application limité aux logements et d’autre part parce qu’elle n’a d’effet que pour les travaux dont les permis d’urbanisme ont été délivrés depuis le 1er juillet 2018.
Cela ne devrait pas impacter les marchés de travaux en cours d’exécution puisque, a priori, les permis d’urbanisme ont été octroyés avant cette date.
En ce qui concerne les marchés de services d’architecture, les architectes étaient tenus légalement de s’assurer et le restent d’un point de vue déontologique. Il ne devrait pas non plus y avoir de modification des conditions d’exécution du marché.
Cependant, pour les marchés publics futurs, l’obligation pour les opérateurs concernés d’assurer leur responsabilité civile telle que visée par les articles 1792 et 2270 du Code civil, devrait être inscrite au sein du cahier des charges en lien avec l’article 24 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013. En effet, cette disposition ne contraint les adjudicataires à assurer leur responsabilité civile que vis-à-vis des tiers et non des pouvoirs adjudicateurs. Des limites d’assurance plus élevées que celles prévues par la loi du 31 mai 2017 pourraient utilement être imposées aux adjudicataires, sans dérogation aux règles générales d’exécution[13].
Et de manière à garantir la bonne exécution du marché, cette assurance « Responsabilité civile décennale » envers le pouvoir adjudicateur (avec fixation d’un niveau d’exigence approprié[14]) pourrait aussi figurer au titre de critère de sélection de type économique[15].
[1] Loi du 31.5.2017 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité civile décennale des entrepreneurs, architectes et autres prestataires du secteur de la construction de travaux immobiliers et portant modification de la loi du 20.2.1939 sur la protection du titre et de la profession d'architecte, M.B., 9.6.2017, ci-après la loi.
[2] A titre professionnel.
[3] Art. 2, 1°, 2° et 3° et art. 5 de la loi.
[4] Art. 5 de la loi.
[5] Art. 2, 4°, de la loi.
[6] Art. 3, al. 1er, de la loi.
[7] Art. 3 de la loi.
[8] Art. 3, al. 1er, 5°, de la loi.
[9] Art. 8, al. 1er, de la loi.
[10] En marché public, cela correspond à l’art. 24, par. 2 de l’A.R. du 14.1.2013 contenant les règles générales d’exécution.
[11] Art. 20 de la loi.
[12] Art. 21, al. 3 et 22 de la loi.
[13] Art. 24, par. 1er, al. 2 de l’A.R. du 14.1.2013.
[14] Art. 65, al. 2 de l’A.R. du 17.4.2018 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques.
[15] Art. 67, par. 1er, al. 1er, 3° de l’A.R. du 17.4.2018.
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