La responsabilité pénale
Jusqu'au 30 juillet 2018, le droit positif belge ne connaissait pas la responsabilité pénale des pouvoirs publics tels que l'État, les Régions, les Communautés, les provinces, les communes.
En effet, l'article 5 du Code pénal, tel qu'inséré par la loi du 4 mai 1999[1], ne s'appliquait pas aux pouvoirs publics dont les pouvoirs locaux, contrairement aux sociétés de droit privé. Le législateur avait avancé un critère objectif pour justifier la différence de régime entre les personnes morales de droit public et les autres, à savoir que toutes ces collectivités disposent d'un organe élu démocratiquement[2]. La Cour d'Arbitrage avait sur ce point précisé que : « le législateur a pu raisonnablement redouter, s'il rendait ces personnes morales pénalement responsables, d'étendre une responsabilité pénale collective à des situations où elle comporte plus d'inconvénients que d'avantages, notamment en suscitant des plaintes dont l'objectif réel serait de mener, par la voie pénale, des combats qui doivent se traiter par la voie politique (…) »[3].
La loi du 11 juillet 2018[4] (modifiant le Code pénal et le titre préliminaire du Code de procédure pénale en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales, M.B. 20.7.2018) a modifié les articles 5 (qui deviendra larticle 18 du nouveau Code pénal) et 7bis du Code pénal (qui deviendra larticle 40 du nouveau Code pénal) en rendant, notamment les communes et CPAS, responsables pénalement.
1. La responsabilité pénale des pouvoirs locaux
Larticle 5 du Code pénal (qui deviendra larticle 18 du nouveau Code pénal) énonce dorénavant ce qui suit :
« Toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte. (…)
La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs des mêmes faits ou y ayant participés. »
Il sensuit donc que les pouvoirs locaux peuvent dorénavant voir leur responsabilité pénale engagée, sans pour autant faire bénéficier les mandataires dune immunité particulière. Ceux-ci peuvent donc toujours voir leur responsabilité pénale engagée.
La sanction envisagée pour les personnes morales de droit public est prévue à larticle 7bis du Code pénal (qui deviendra larticle 40 du nouveau Code pénal) et consiste en une déclaration de culpabilité. Cette déclaration de culpabilité permettra ainsi aux victimes de demander un dédommagement au civil plus facilement.
2. La responsabilité pénale des mandataires
La responsabilité pénale des pouvoirs locaux n'enlève pas la possible responsabilité pénale des mandataire ; comme ils peuvent mettre leur responsabilité civile en jeu en tant qu'organe, les mandataires peuvent également, dans bon nombre d'hypothèses, engager leur responsabilité pénale.
Pour que la responsabilité pénale d'un mandataire soit engagée, il faut qu'il ait commis une infraction.
Pour savoir si tel est le cas, il conviendra de déterminer si les éléments constitutifs de l'infraction sont rencontrés.
En fait, une infraction est composée de trois éléments :
- élément légal : il faut un texte pour ériger un comportement en infraction ; c'est le principe de légalité du droit pénal ;
- élément matériel : cela consiste dans l'accomplissement d'un acte prohibé qui peut également être de pure omission ;
- élément moral : il faut l'intention de commettre une infraction. Nous verrons que certaines infractions imposent le « dol », c'est-à-dire la volonté de commettre l'acte interdit ou d'omettre l'acte prescrit par la loi[5], et d'autres ne requièrent qu'une « faute ».
Quand l'infraction est commise, la responsabilité pénale de la personne physique peut être engagée et des sanctions peuvent être appliquées.
En ce qui concerne le mandataire local, celui-ci peut voir sa responsabilité pénale engagée dans de nombreux cas : soit à la suite d'une infraction intentionnelle, soit à la suite d'une infraction non intentionnelle.
A. Les infractions intentionnelles
Pour qu'une infraction intentionnelle puisse être punissable, il est nécessaire que la personne l'ait commise avec connaissance et volonté.
On retrouve ici deux types dinfractions :
- les infractions qui requièrent le seul dol général comme élément moral. En d'autres mots, l'auteur accomplit l'acte délictueux en pleine connaissance de cause. Il agit sciemment. On peut citer comme exemple l'arrestation arbitraire en tant qu'officier public (C. pén., art. 147 – qui deviendra l'article 219 du nouveau Code pénal), la violation de domicile (C. pén., art. 148 – Art. 348 du nouveau Code pénal), la corruption (C. pén., art. 246 – Art. 638 du nouveau Code pénal), les écoutes illégales (C. pén., art. 259bis – Art. 342 à 346 du nouveau Code pénal) ;
- les infractions qui requièrent le dol spécial comme élément moral. Ainsi, outre la connaissance et la volonté, il faut une intention particulière comme le dessein de nuire ou celui d'obtenir un bénéfice illicite. Comme exemple, on peut citer le détournement (C. pén., art. 240 – Art. 640 du nouveau Code pénal), la destruction de titres (C. pén., art. 241 – Art. 635 du nouveau Code pénal), le faux en écritures publiques (C. pén., art. 193 – Art. 451 du nouveau Code pénal).
B. Les infractions non intentionnelles (valable jusqu'au 8 avril 2026 date d'entrée en vigueur du nouveau Code pénal)
Les infractions non intentionnelles ou infractions d'imprudence ne requièrent pas le dol comme élément moral, contrairement aux infractions intentionnelles, mais seulement la faute. Par faute, on entend « le défaut de prévoyance ou de précaution ». L'auteur de l'infraction devait ou aurait dû savoir que son comportement risquait de causer un dommage prévu par la loi pénale. En outre, « pour déterminer s'il existe ou non un défaut de prévoyance et de précaution, le juge aura égard au critère de la personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances. Le juge ne peut donc apprécier la faute a posteriori mais doit se replacer au moment des faits, en tenant compte des moyens humains, financiers et matériels dont disposait le mandataire local pour assumer sa charge »[6].
Le plus « bel exemple » d'infractions d'imprudence est prévu aux articles 418-420 du Code pénal : ce sont les coups et blessures involontaires et homicide involontaire. C'est ainsi qu'un bourgmestre pourrait être poursuivi, pour coups et blessures involontaires, voire homicide involontaire (art. 418-420, C. pén.) à la suite de l'incendie d'un immeuble sur son territoire ou encore à la suite d'un accident de la route dû au mauvais état de la voirie.
En ce qui concerne les coups et blessures involontaires et l'homicide involontaire, il convient de signaler que doctrine et jurisprudence estiment que la faute pénale des articles 418 à 420 du Code pénal est identique à la faute civile de l'article 1382 du Code civil : c'est ce qu'on appelle la théorie de l'unité des fautes pénale et civile. Il s'ensuit qu'au pénal comme au civil, on est responsable de sa faute légère, c'est-à-dire du comportement que n'aurait pas adopté l'homme honnête, diligent et prudent placé dans les mêmes circonstances.
Dès le 8 avril 2026 – date d'entrée en vigueur du nouveau Code pénal - il ne sera plus question de coups et blessures involontaires ou d’homicides involontaires. En effet, le nouveau Code pénal modifie les choses. Ainsi, l’homicide involontaire devient l’homicide par défaut grave de prévoyance et de précaution (art. 106 du nouveau Code pénal) et la notion de coups et blessures involontaires est remplacé par l’incrimination d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique due à un défaut grave de prévoyance ou de précaution (art. 217 du nouveau Code pénal). Via ces modifications, l'unité de la faute pénale et de la faute civile prendra fin pour un certain nombre d'infractions.
C. Les sanctions
Le mandataire subit le même type de sanctions que tout citoyen (emprisonnement, amende).
Néanmoins, il peut être frappé de peines accessoires spécifiques à sa fonction, notamment, l'interdiction d'exercer certains droits civils et politiques tel que prévu aux articles 31 à 34 du Code pénal (art. 47 du nouveau Code pénal).
2. Le rôle de la commune en cas de responsabilité d'un de ses mandataires
Par suite des demandes de l'Union des Villes et Communes de Wallonie et aux travaux des Assises de la démocratie auxquelles l'Union a activement participé, la loi du 4 mai 1999 a inséré deux nouvelles dispositions dans la nouvelle loi communale, à savoir les articles 271bis (devenu l'art. L1241-1 CDLD) et 271ter (devenu l'art. L1241-2 CDLD).
En adoptant cette législation, le but du législateur était de privilégier « le maintien du régime de la responsabilité du droit commun pour le bourgmestre ou l'échevin en tant qu'organe, tout en préconisant l'aménagement de mécanisme de garanties visant à soulager ces mandataires locaux dont la responsabilité est mise en cause »[7].
A. La mise à la cause de la commune
L'article L1241-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, énonce que « le bourgmestre ou l'échevin, qui fait l'objet d'une action en dommages et intérêts devant la juridiction civile ou répressive, peut appeler à la cause la Région ou la commune. La Région ou la commune peut intervenir volontairement. »
Cette disposition a pour conséquence que, dès lors qu'une action civile se greffe sur la procédure répressive, le bourgmestre et l'échevin ne devront plus faire face seuls à l'accusation. Il est évident que la mise en cause de la Région ou de la commune est limitée à l'aspect civil de la procédure ; néanmoins, il s'agit d'un point positif de la réforme sur le plan pénal. En effet, sur la base de cet article, pour se défendre, tant la Région que la commune devront appuyer le mandataire local dans sa défense contre l'infraction.
B. La responsabilité civile des amendes pénales
L'article L1241-2 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation prévoit un système de responsabilité civile dans le chef de la commune du paiement des amendes auxquelles son bourgmestre ou un échevin est condamné, à la suite d'une infraction commise dans l'exercice normal de ses fonctions.
Ainsi, la commune est civilement responsable du paiement des amendes infligées aux mandataires, mais elle dispose dune action récursoire. Cette action récursoire est limitée au dol, à la faute lourde ou à la faute légère présentant un caractère habituel. En d'autres termes, la commune peut décider de se retourner contre le mandataire pour obtenir le remboursement de ce qu'elle a payé dans le cas d'un crime ou d'un délit intentionnel (dol spécial) ou volontaire (dol général ou faute lourde assimilée au dol en droit pénal), et également dans le cas dun délit d'imprudence résulte d'une faute légère habituelle dans le chef du bourgmestre ou d'un échevin, lui « refuser son intervention ».
Dès lors, c'est essentiellement dans le cas des délits d'imprudence (comme les coups et blessures par imprudence ou l'homicide involontaire) que la commune sera « automatiquement » astreinte à supporter les conséquences financières de la condamnation de ses mandataires.
C. Une couverture d'assurance « défense pénale »
L'arrêté du Gouvernement wallon du 15 mai 2008[8] prévoit dorénavant que l'assurance que doit souscrire la commune pour couvrir la responsabilité civile incombant personnellement au bourgmestre et membres du collège dans l'exercice normal de leurs fonctions[9] doit comprendre une assistance en justice, on seulement défense civile mais également défense pénale.
[1] L. 4.5.1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales (M.B. 22.6.1999).
[2] M. Nihoul, La responsabilité pénale des personnes morales en Belgique, La Charte, 2005, p. 26.
[3] C.A., arrêt n° 128/2002 du 10.7.2002, M.B., 13.11.2002; J.L.M.B., 2003, p. 54.
[4] L. 11.7.2018, mod. le Code pénal et le titre préliminaire du Code de procédure pénale en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales, M.B. 20.7.2018.
[5] P. -E. Trousse, Les principes généraux du droit pénal positif belge, Les Novelles, Droit pénal, t. I, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 1956, vol. 2, 1962, p. 377
[6] D. Renders et F. Piret, Droit de la démocratie provinciale et communale : la désignation et la responsabilité des mandataires, Acte de la journée d'études - 21 juin 2006, FUCAM, p. 90.
[7] Doc. Parl., Sén., S.O., 1997-1998, n° 1-987/1, p. 2.
[8] A.G.W. 15.5.2008 rel. à l'assurance responsabilité et protection juridique des bourgmestres, membres des collèges communaux et
des membres des collèges provinciaux, (M.B. 2.6.2008), évoqué plus largement dans la fiche 1 La responsabilité civile.
[9] En application de CDLD, art. L1241-3.
Focus sur la commune
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