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Mis en ligne le 15 Novembre 2021

Notre commune est propriétaire d’une paroi rocheuse. Sommes-nous responsables des éboulements ? Doit-on intervenir préventivement ? Qu’en est-il des chutes de roche provenant de terrains dont la commune n'est pas propriétaire ?

Nous répondrons à cette question en deux temps. Tout d’abord, nous examinerons les règles applicables à la commune lorsque cette dernière est propriétaire de la paroi rocheuse. Ensuite, nous aborderons l’obligation de sécurisation qui pèse sur la commune et qui s’applique à l’ensemble de son territoire, qu’elle soit propriétaire ou non de la paroi rocheuse. 

Lorsque la commune est propriétaire de la paroi rocheuse

Il existe en droit belge une servitude d’écoulement des eaux naturelles. Cette servitude prévoit que chaque terrain doit supporter l’écoulement des eaux naturelles provenant du terrain plus élevé.

Cette règle était reprise à l’article 640 de l’ancien Code civil, abrogé depuis. Elle visait l’écoulement des eaux « sans que la main de l'homme y ait contribué ». Par ailleurs, l’article 640 précisait que « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur ».

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser le champ d’application de cette servitude. Il était ainsi admis que la servitude d’écoulement des eaux naturelles portait également sur tout ce que les eaux charriaient naturellement avec elle, comme le sable par exemple[1].

Il a également été admis que l’article 640 du Code civil s’appliquait aux éboulements rocheux. Selon la Cour d’appel de Liège[2], « à l'écoulement des eaux naturelles prévu par cet article, il faut assimiler les éboulements de gravier ou autre matière que les eaux charrient naturellement avec elles ou encore les éboulements de rochers qui se détachent du fonds supérieur par suite d'un vice du sol, sans que la main de l'homme y ait contribué ».

Par conséquent, un terrain doit supporter les chutes de pierre provenant d’un fonds plus élevé qui s’est produit en dehors de toutes interventions de l’homme, par l’effet de la nature du terrain et des conditions atmosphériques. Dans un tel cas, le propriétaire du fonds supérieur ne peut voir sa responsabilité engagée « quel que soit le dommage causé » (pour reprendre les termes de l’arrêt de la Cour d’appel de Liège). 

Depuis le 1er septembre 2021, la loi du 4 février 2020 portant le Livre 3 « Les biens » du Code civil est entrée en vigueur. Elle abroge l’article 640 de l’ancien Code civil et le remplace par l’article 3.129. Cette loi « s’applique à tous les actes juridiques et faits juridiques qui ont eu lieu après son entrée en vigueur »[3]. Par conséquent, il sera fait application des principes prévus par le Livre 3 pour toutes chutes de roches ayant eu lieu à partir du 1er septembre 2021.

L’article 3.129 reprend les mêmes principes que ceux énoncés à l’ancien article 640. Il prévoit ainsi que « les fonds inférieurs doivent recevoir les eaux naturelles, et autres matières charriées par celles-ci, en provenance des fonds supérieurs ».

Si aucune précision ne porte sur les éboulements rocheux, les travaux préparatoires évoquent cependant que « l’article ne vise volontairement que les eaux et matières charriées par elles et non l’éboulement de roches qui, vu sa dangerosité, paraît devoir être exclue de la servitude, chacun devant prendre ses précautions afin que les pierres et rochers ne portent pas atteinte aux fonds voisins »[4].

Cette précision du législateur ne figure pas dans le corps de l’article 3.129. Il en découle plusieurs interrogations. Si les roches sont charriées par les eaux naturelles, n’entrent-elles pas dans le champ d’application de l’article 3.129 ? Faut-il appliquer un régime distinct entre les éboulements rocheux dus à un vice du sol (lesquels ne seraient pas concernés par la servitude, contrairement à la jurisprudence citée plus haut quant à l’application de l’ancien article 640) et ceux charriés naturellement par les pluies ? La volonté du législateur, exprimée dans les travaux préparatoires, sera-t-elle suivie par les juridictions ?[5] Ces questions restent ouvertes et devront être tranchées par la jurisprudence.

Dans l’hypothèse où l’article 3.129 du nouveau Code civil serait d’application en matière d’éboulements rocheux, relevons ses 3e et 4e alinéas, énonçant :

« Le titulaire d’un fonds supérieur ne peut aggraver cet écoulement en quantité ou en qualité ; cette obligation ne l’empêche pas d’utiliser normalement son fonds d’après sa destination, si l’ampleur de l’aggravation est raisonnable. L’entretien de la servitude d’écoulement est aux frais du titulaire du fonds dominant. 

Les droits et obligations ci-dessus ne s’appliquent pas aux situations résultant de la force majeure ».

Les principes figurant aux alinéas 3 et 4 s’inspirent de ceux issus de l’article 640 de l’ancien Code civil et appliqués par la jurisprudence. Concernant les frais d’entretien mis à charge du titulaire du fonds plus élevé, il s’agit de la transposition de la règle générale figurant à l’article 3.121 du Livre 3, applicable aux servitudes légales et aux servitudes du fait de l’homme (art. 3.116). On peut cependant s’interroger sur l’entretien qui pourrait (ou devrait) avoir lieu en l’espèce, dès lors qu’il est question de l’écoulement d’eaux naturelles.

Enfin, dans l’hypothèse où l’article 3.129 ne s’appliquerait pas, la chute de pierre pourrait conduire à engager la responsabilité civile du propriétaire du fonds supérieur (qui pourrait ainsi être considéré comme le gardien de la chose et a, de ce fait, une obligation d’entretien). Le cas échéant, la responsabilité pour faute pourrait également être engagée, s’il peut être prouvé que le dommage est dû à une faute de l’autorité publique, à savoir un comportement que n’aurait pas eu une personne normalement prudente et diligente. Il s’agira d’éléments à apprécier au cas par cas.

Outre la responsabilité civile, s’il peut être démontré que l’exercice et l’usage par le propriétaire de la paroi rocheuse excède la mesure des inconvénients normaux du voisinage, il pourrait être invoqué un trouble anormal de voisinage (art. 3.101 du nouveau Code civil). Notons par ailleurs que l’article 3.102 du même Code consacre la possibilité pour le propriétaire ou l’occupant d’un bien de demander en justice des mesures préventives si le bien voisin occasionne des risques graves et manifestes en matière de sécurité, de santé ou de pollution, rompant ainsi l’équilibre entre les biens immeubles.

Obligation de sécurisation sur l’ensemble son territoire

En dehors des problèmes liés à l’interprétation à faire du nouveau Code civil et des relations de voisinage, les communes restent responsables de la sécurité sur leur territoire. Cette obligation pèse sur l’autorité locale, peu importe que cette dernière possède ou non un droit de propriété (ou autre droit réel) sur le terrain d’où provient le trouble.

Il s’ensuit qu’en cas de risques avérés de chutes de pierres, même provenant d’une paroi rocheuse n’appartenant pas à la commune, il conviendra de prendre les mesures nécessaires pour éviter le trouble à l’ordre public.

Dans le cas qui nous occupe, le trouble à l’ordre public que nous allons devoir éviter est en lien avec la sécurité publique. Ainsi, si des pierres risquent de chuter sur une habitation, en mettant ainsi en péril les habitants, il conviendra de prendre des mesures pour éviter tout drame. Les mesures peuvent être de différents types : stabilisation des rochers (avec l’aide d’un filet ou toute autre technique), évacuation des pierres dangereuses, évacuation d’une habitation (dans les cas les plus graves), etc.

Pour les chutes de rochers sur la voie publique, il est envisageable de prévenir les automobilistes en faisant installer un panneau « chute de pierres ». Evidemment, si un gros rocher manque de tomber sur la voie publique, des mesures plus importantes pourront être prises, comme, par exemple, la pose de barrières Nadar, la fermeture de la voirie, etc.

Dans tous les cas, les mesures doivent être proportionnelles par rapport au but recherché et ne peuvent être prises que lorsque la sécurité publique est en danger. Les communes ne peuvent jamais intervenir pour un simple trouble de voisinage (dans certains cas, la limite entre l’ordre public et le trouble de voisinage est difficile à distinguer).

Si des mesures doivent être prises, il ne faudra pas oublier, sauf cas d’extrême urgence, d’entendre les personnes concernées afin qu’elles puissent faire valoir leurs moyens de défense.

Rappelons, enfin, que, si la commune est avertie d’un danger imminent et qu’elle n’agit pas, sa responsabilité pénale (ainsi que, le cas échéant, celle des mandataires) pourrait être mise en cause en cas de coups et blessures et décès d’une personne. La prudence est donc de mise dans une telle situation.

Ouvrage lié à cette thématique

 


[1] V. not. Cass. 18.11.1999, Pas., p. 1455

[2] Liège (3 ech.), 23/06/2003, J.T., 2003/34, n° 6112, p. 733.

[3] Art. 37, par. 1er, al. 1er de la loi.

[4] Prop. de loi portant insertion du Livre 3 « Les biens » dans le nouveau Code civil, Commentaire des articles, Doc. parl., Ch. repr., sess. extr. 2019, n°0173/001, p.239

[5] v. V. Defraiteur, Copropriété et relations de voisinage, in Le droit des biens réformé, Larcier, 2021, p. 222.

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Date de mise en ligne
15 Novembre 2021

Type de contenu

Q/R

Matière(s)

Police administrative Gestion du patrimoine
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