Rentrée politique de la Fédération des CPAS wallons : après les crises, une avalanche de propositions pour en revenir aux fondamentaux
Après avoir affronté, en 1e ligne, plusieurs vagues de crises diverses ces dernières années, les 262 CPAS wallons, par la voix de leur Fédération des CPAS (UVCW) ont marqué leur rentrée ce mercredi à Namur en délivrant un message central aux autorités de tous niveaux : ils réclament d’elles, légitimement, qu’on leur donne les moyens d’au moins accomplir leurs missions, pour pouvoir assurer le respect des droits primordiaux des personnes fragilisées. Un retour aux fondamentaux pour un enjeu essentiel de dignité humaine.
« La situation des CPAS, au moment où je vous parle, n’est pas riante, c’est un euphémisme », annonce d’emblée Luc VANDORMAEL, Président de la Fédération des CPAS wallons. Et d’illustrer le propos :
- Sur la législature communale qui s’achève, le nombre de personnes bénéficiaires du revenu d’Intégration (RI) a augmenté d’environ 30% en Wallonie. En parallèle, les aides sociales complémentaires ont également fortement crû ;
- Les problèmes de santé mentale ont grimpé de 40% sur la même période, touchant particulièrement les jeunes ;
- La contractualisation de l’aide sociale s’est généralisée, avec un accroissement considérable de la charge administrative (contrôle des conditions et obligations à remplir), et parfois un éloignement du véritable rôle d’accompagnant social des personnes fragilisées ;
- Corollaire : le phénomène de non-recours aux droits s’accentue. Les CPAS sont régulièrement incriminés, souffrant de la sorte d’un déficit d’image et d’attractivité, alors qu’ils subissent des renvois de toutes parts ;
- Les situations de violence s’accroissent : des usagers envers les travailleurs sociaux, comme de l’institution à l’encontre des usagers ;
- Les CPAS peinent à recruter et à maintenir le personnel en place, en 1e ligne sociale ou dans les services. Les cas d’épuisement professionnel et les démissions augmentent, indicateur de la fatigue des agents.
« Malgré ces constats, nos CPAS continuent à faire face et à assurer leurs missions premières. Principale institution sociale de notre pays, ils assument les situations de grande précarité et désormais, la précarisation croissante d’une classe moyenne qui l’est de moins en moins », alerte Luc Vandormael.
Dès lors, « pour les aider à jouer pleinement leur rôle dans le système assistanciel, et donc à assurer à un maximum de citoyens fragilisés de mener une vie conforme à la dignité humaine et une possible mobilité sociale, les CPAS doivent impérativement être soutenus à la hauteur des enjeux ».
« Il convient, a minima, de revenir aux fondamentaux, soit de commencer par assurer un accès aux 3 piliers de la dignité humaine : disposer d’un toit ; se nourrir ; exercer un travail », résume le Président.
DISPOSER D’UN TOIT
Les constats
Philippe NOËL, Président du CPAS de Namur, ramasse les constats en quelques chiffres : « il existe actuellement en Wallonie, 101.549 logements publics. Cela représente 98.057 ménages ou encore 220.915 personnes locataires d’un logement social. Le loyer social moyen atteint 310,55€. Malgré cette offre, 41.913 ménages ou 98.063 personnes sont toujours en attente d’un logement. Ces personnes rencontrent les conditions, je ne parle pas de celles qui cherchent un logement de manière plus large, ou sont hébergées dans des structures périphériques telles des abris de nuit ».
« Faut-il encore convaincre quiconque que la politique du logement est cruciale et doit être une priorité régionale pour les prochaines années ? L’importance des enjeux appelle une réponse urgente, forte, ambitieuse, assortie des moyens conséquents nécessaires. Cette action doit idéalement être pérenne, concertée et harmonisée avec les opérateurs locaux, et adaptée aux besoins notamment des personnes fragilisées ».
Nos propositions
Et Philippe Noël d’enchaîner en listant une série de propositions, qui sont autant de leviers à actionner.
S’agissant des LOGEMENTS PUBLICS :
- Développer une vision à long terme, tant pour les objectifs que les moyens (investissements) ;
- Lancer un droit de tirage pour permettre la rénovation lourde du parc existant ;
- Poursuivre la mixité sociale, tout en rendant prioritaires les publics les plus fragilisés ;
- Revoir les règles d’attribution, qui doivent reposer sur des catégories de revenus assorties de points de priorité équilibrés, accordant une place suffisante à l’ancienneté des candidatures ;
- Développer les possibilités de réservation de logements pour les CPAS.[1]
En ce qui concerne les LOGEMENTS PRIVES :
- Instaurer un Fonds régional de garantie locative, au-delà de l’actuel prêt « à taux zéro » ;
- Amplifier le dispositif Capteurs logements, notamment en CPAS ;
- Généraliser l’expérience Housing First à l’échelle de toute la Wallonie.
Pour les LOGEMENTS « D’ATTENTE » :
- Investir dans de nouveaux logements d’urgence ;
- Etendre les relais sociaux pour couvrir l’ensemble du territoire ;
- Renforcer le cadre pour l’accueil de nuit, à l’instar du décret sur les structures d’accueil de jour ;
- Adapter aux réalités de terrain le décret relatif à l’hébergement collectif des personnes en difficultés prolongées ;
- Soutenir les maisons pirates.
SE NOURRIR
Les constats
C’est un bien sombre tableau que brosse Eric JEROME, Président du CPAS de Herve : « l’aide alimentaire devrait continuer à être vue comme une solution d’urgence, et non un complément structurel aux déficits sociaux. Or, de plus en plus de personnes dépendent d'une aide pour pouvoir se nourrir ».
« Au fil des crises successives, les files devant les épiceries sociales et autres structures dispensant des colis alimentaires se sont allongées de manière inquiétante. L’aide alimentaire a pris une importance intolérable, dans le sens où il n’est pas normal, en Belgique et en 2023, que des personnes manquent des ressources suffisantes pour se nourrir ». Et Eric Jérôme d’étayer au moyen de chiffres :
« En Belgique, 600.000 personnes recourent à l’aide alimentaire chaque année. On dénombre dans le pays 30 restaurants sociaux, 85 épiceries sociales et 400 centres de distribution de colis alimentaires gérés par la Société de Saint-Vincent-de-Paul (plus du tiers), des CPAS (un autre tiers), la Croix-Rouge de Belgique et diverses associations. Acteurs essentiels, les CPAS belges ont aidé près de 70 000 personnes en 2021, toutes formes d’aide alimentaire confondues ».
L’aide alimentaire est majoritairement réalisée sur fonds propres des CPAS, qui reçoivent toutefois une série d’aides-externes (FEAD p. ex.). L’aide est apportée la plupart du temps par le personnel du CPAS, moins de 20 % de bénévoles y étant associés (il y a davantage de bénévoles dans le réseau associatif). Ce manque de personnel est pointé du doigt, de même que le défaut de financement pour lancer de tels services en interne, la réduction des coûts frappant de nombreux CPAS.
« Près de la moitié des CPAS (44 %) sont en outre confrontés à des difficultés logistiques, touchant au stockage des denrées périssables et à leur transport, notamment pour ne pas rompre la chaîne du froid (réfrigérateurs ou camions réfrigérants). Sans parler du respect des normes AFSCA et, dans les zones rurales, le défi de l’accessibilité aux services », détaille Eric Jérôme.
Nos propositions
Fidèles à leur dynamisme, leur esprit volontariste et leur créativité, les CPAS wallons préconisent :
- Davantage de moyens (matériels, humains et financiers) pour répondre aux besoins croissants ;
- Une approche plus coordonnée entre acteurs, passant par une rationalisation des fonds publics, une simplification administrative et le principe de confiance envers les autorités locales ;
- Un financement du travail en réseau entre tous les acteurs de l’alimentation ;
- Des solutions plus simples d’acheminement en milieu rural. Il n’est pas admissible que les déplacements coûtent plus cher que les colis livrés ;
- Une aide logistique pour le dispatching (financement de personnel, d’infrastructure et de matériel) ;
- Un soutien aux épiceries sociales, en lien avec les productions locales.
EXERCER UN TRAVAIL
Les constats
« L’insertion socioprofessionnelle (ou ISP) fait partie des missions légales du CPAS », rappelle Luc Vandormael. « En 2022, en Wallonie, le SPP Intégration sociale a recensé 10 303 personnes mises à l’emploi en application de l’article 60, § 7, et 320 mises à l’emploi article 61. Les CPAS sont donc actifs et efficaces dans la mise à l’emploi des personnes fragilisées, mais sont confrontés à nombre de difficultés, dont de plus en plus la question dite des pièges à l’emploi ».
La Fédération des CPAS a attiré l’attention à plusieurs reprises, depuis 2021, sur l’écart qui se réduit entre le salaire minimum et les allocations d’insertion. Ce phénomène des pièges à l’emploi, soit des situations qui rendent le travail peu attractif, ou moins rémunérateur que de rester inactif (compte tenu des frais liés à l’emploi - transport et garde d’enfants en particulier), s’est accentué depuis le mois de juillet 2023.[2]
Et le Président de la Fédération des CPAS de dénoncer : « la dernière augmentation du revenu d’intégration, en juillet 2023, n’a pas été suivie d’une hausse du salaire minimum. La situation devient ingérable pour nos CPAS, car toutes les personnes ayant un ou plusieurs enfant(s) à charge, bénéficiaires du RI, peuvent désormais percevoir un complément de RI si elles sont mises à l’emploi à temps plein et rémunérées au RMMMG (en tenant compte de l’exonération ISP). Depuis, la population visée s’est élargie à toutes les personnes ayant charge de famille, et non plus quelques catégories ».
Nos propositions
Afin de maintenir, voire améliorer les bons résultats des politiques d’insertion socioprofessionnelle, et l’attractivité de l’emploi en général, les CPAS alignent plusieurs suggestions, qui relèvent du bon sens et d’une fine connaissance du terrain :
- Relever les allocations sociales en lien automatique avec la hausse du salaire minimum ;
- Concomitamment, relever les bas salaires ;
- Lier les aides à un revenu et non à un statut ;
- Doper le financement des actions d’ISP des CPAS (frais de fonctionnement), donc les possibilités d’encadrement, d’accompagnement social majoritairement financées sur fonds propres) ;
- Gonfler de 15% l’enveloppe de financement article 60, §7 (les aides actuelles ne permettent pas de financer l’intégralité du salaire des personnes engagées) ;
- Soutenir les CPAS pour la mise en formation, au même titre que la mise à l’emploi.
Contact : Luc VANDORMAEL, Président de la Fédération des CPAS de Wallonie (UVCW) – 0475/38.12.99
[1] Dispositif prévu en vertu de l’article 132 du Code wallon de l’habitation durable
[2] Voir la mise à jour de l’étude « pièges à l’emploi », datant du 31/8/2023, sur le site de l’UVCW : https://www.uvcw.be/insertion/etudes/art-7120
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