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Mis en ligne le 1er Septembre 2007

La condamnation du Bourgmestre de Damme en appel pour son ‘implication’ dans une malheureuse affaire de roulage relance la question de la responsabilité pénale des élus pour coups et blessures, voire homicide, par imprudence (C. pén., art. 418-420).

Le mouvement de criminalisation des négligences les plus bénignes mène à une stigmatisation pénale de l'homme public, laquelle constitue une sanction à part entière et souvent, un danger pour la démocratie locale elle-même.

Dans son mémorandum, l’Union des Villes et Communes de Wallonie plaide pour cette dualité des fautes. Nombre de pays l’ont adoptée (et notamment la France qui s’est enfin, en 2000, affranchie du principe d’unité des fautes que la Belgique lui avait funestement léguée  pour adopter celui de la dualité).

Le lecteur trouvera dans les lignes suivantes la synthèse de notre argumentaire ainsi que la proposition de texte que fait l’Union. Nous reprenons le dossier avec le nouveau Gouvernement fédéral.

Synthèse de notre demande: séparer la responsabilité civile de la responsabilité pénale en matière de coups et blessures involontaires

Lorsqu’il dirige sa commune, l’élu local peut être confronté à des situations qui impliquent sa responsabilité tant civile que pénale, alors même qu’il n’a commis qu’une faute dénuée de toute malveillance. Ainsi, un bourgmestre peut être pénalement condamné lorsqu’un cycliste a un accident de la route ou lorsqu’un incendie faisant victimes survient sur son territoire.

Malgré des améliorations apportées par la loi du 4 mai 1999, notre droit pénal connaît toujours actuellement le principe d’unité de la faute civile et de la faute pénale pour les infractions de coups et blessures involontaires ou d’homicide involontaire (C. pén., art. 418 à 420). Cela signifie qu’une victime ne peut être dédommagée que si la personne reconnue responsable au civil - notamment le bourgmestre - est également condamnée au pénal. Pesant de manière croissante sur l’élu, ce risque décourage le citoyen de s’engager dans la vie politique et d’accepter un mandat public.

Un principe de bonne justice et d’équité commande que la faute civile soit découplée de la faute pénale. En effet, en instaurant la dualité des fautes pénale et civile, on met automatiquement fin à toutes les condamnations pour faute légère dans le seul but d'assurer une réparation civile (dommages-intérêts) à la victime. La responsabilité pénale de l'élu ne serait plus mise en cause devant le juge pénal que dans des situations caractérisées par la faute grave.

Il est urgent d’examiner le moyen d’alléger la responsabilité pénale du mandataire, sans exclure cette responsabilité dans des situations caractérisées par une faute grave et sans toucher davantage à sa responsabilité civile.

(Extraits du mémorandum fédéral 2007 de l’Union des Villes et Communes de Wallonie et du mémorandum fédéral 2007 des trois Associations des Villes et Communes bruxelloises, flamandes et wallonnes)

Développements

En droit: la situation actuelle

La théorie de l'unité des fautes civile et pénale est une construction jurisprudentielle déjà ancienne. La Cour de Cassation a ainsi décidé dans un arrêt de principe du 17 juillet 1884 [1] que "toute faute qui a pour résultat involontaire un homicide ou des lésions corporelles, est érigée en délit par les articles 418 et 420 du Code pénal." L'arrêt du 17 juillet 1884 a été confirmé par de nombreux arrêts subséquents de la Cour de Cassation [2].

Ainsi, la jurisprudence estime que la faute pénale des articles 418-420 du Code pénal est identique à la faute civile de l'article 1382 du Code civil. La Cour de Cassation a précisé que "toute faute, aussi légère soit-elle, peut constituer un défaut de prévoyance ou de précaution au sens de l'article 418 du Code pénal" [3].

Quelques exemples tirés de la jurisprudence

On a, par exemple, jugé que se rendait coupable d'homicide involontaire ou de coups et blessures par imprudence:
- un échevin des travaux qui n’avait pas fait prendre les bonnes mesures qui s’imposaient pour sécuriser un chantier ce qui causa la mort d'un ouvrier communal occupé sur ce chantier communal [4];
- le bourgmestre et l’échevin des travaux qui n'avaient pas signalé un obstacle dans la voirie (dans le cas présent, un affaissement de la route qui, rempli d'eau, avait causé la chute mortelle d'un cycliste sous les roues d'un tracteur arrivant en sens inverse). Il y avait là "inexécution fautive d'un acte que le bourgmestre avait, en vertu de ses fonctions, le pouvoir et le devoir d'accomplir", cette faute constituant "l'une des causes nécessaires de l'accident" [5];
- le bourgmestre qui a attendu qu'un accident se produise pour veiller à la bonne signalisation des lieux [6];
- le bourgmestre qui n’a pas veillé au bon éclairage de la voirie alors même que le décès d’un automobiliste est dû à la vitesse excessive d’un second [7] ;
- le bourgmestre qui a omis de donner communication d'un arrêté provincial à des particuliers manipulant de la poudre à fusil [8];
- le bourgmestre et l’échevin des travaux qui n'avaient pas pris les mesures nécessaires en vue d'interdire le passage sur un pont ou d'en protéger l'accès par la construction d'un parapet, faute en relation causale directe avec la chute d'un piéton, qui avait emprunté le pont pendant la nuit [9].

Dans les faits: la voie pénale souvent privilégiée

On constate que la victime d’un accident impliquant un tant soi peu la commune (accident survenu sur la voirie communale, incendie, etc.) choisit de plus en plus souvent la voie pénale pour réparer son dommage.

Ce choix s’explique souvent par la facilité dont dispose ainsi la victime de se décharger de "l’instruction" de sa demande sur le ministère public ou le juge d’instruction. On constate également parfois que la victime estime qu’elle bénéficiera d’une réparation plus "complète" si une certaine publicité est donnée à son affaire. On ne peut négliger le caractère parfois poujadiste ou revanchard d’une action, la stigmatisation pénale de l’homme public constituant  une sanction à part entière.

On assiste ainsi de plus en plus souvent à une criminalisation des négligences même les plus bénignes.

Ainsi, s’il est vrai que nombre d’affaires se terminent via l’intervention des assurances RC des communes, le bourgmestre ou l’échevin n’est jamais à l’abri de la voie pénale en matière de coups et blessures involontaires.

On notera d’ailleurs que même si la victime n’entend ne pas élire la voie pénale, le ministère public peut très bien l’imposer en lançant l’action publique à l’encontre d’un élu.

Les difficultés liées au régime actuel : un réel danger pour la démocratie locale

L’interprétation de la Cour de Cassation a pour effet, qu'au pénal comme au civil, on est responsable de sa faute légère, c'est-à-dire du comportement que n'aurait pas adopté l'homme honnête, diligent et prudent placé dans les mêmes circonstances. Combiné au principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil contenu dans l'article 4 du Titre préliminaire du Code d'instruction criminelle, cette interprétation a pour conséquence que, si le juge pénal acquitte un individu en estimant qu'il ne mérite pas les stigmates de la sanction pénale pour la faute "légère" commise, il prive par là même la victime de coups et blessures involontaires d'une réparation civile. Dès lors, le juge pénal se sent généralement "tenu" de punir pénalement afin d'offrir une possibilité de réparation à la victime (ou à ses ayants droit en cas de décès de celle-ci).

Là réside tout l’effet pervers de cette "unité" des fautes.

La théorie de l'unité de fautes pénale et civile a fait l'objet de nombreuses critiques en doctrine [10] L'objection principale a toujours été que le droit pénal ne doit sanctionner que les fautes d'une certaine gravité alors qu'en droit civil, la réparation est due en raison de la faute la plus légère qui soit et, sans même qu'il y ait faute. La responsabilité civile a pour seul objet la réparation du dommage. Une autre objection tient au fait que la faute civile doit être appréciée in abstracto, sans que l'on tienne compte de l'âge, du sexe, etc. au contraire de la faute pénale qui doit être appréciée in concreto compte tenu de toutes les circonstances de la cause.

La solution envisageable: la dualité des fautes pénale et civile en matière de coups et blessures/homicide involontaire (Cod. pén., art 418-420)

On peut ainsi tout à fait imaginer un système dans lequel la faute pénale et la faute civile seraient différentes l'une de l'autre, l'existence de l'une n'entraînant pas ipso facto l'existence de l'autre. En effet, il ne nous semble pas que le critère de l'homme honnête, diligent et prudent (ou du bon père de famille) puisse rendre suffisamment compte du caractère essentiellement réprobateur du droit pénal qui fait reproche au prévenu de n'avoir pas fait ce qui était en son pouvoir personnel de faire [11].

L'option de la dualité des fautes, souhaitée depuis longtemps par la doctrine [12], aurait pour conséquence que le juge pénal ne serait plus "moralement obligé" de condamner le mandataire au pénal pour offrir une réparation civile à la victime. Avec un tel système, le mandataire local ne répondrait plus au pénal que de sa faute caractérisée et non plus de sa faute légère.

L'élu serait soulagé du poids d'une sanction pénale souvent injuste si le législateur optait pour le principe de la dualité des fautes pénale et civile.

Quant à la victime, elle serait tout à fait dédommagée au civil quelle que soit la décision du juge pénal.

Equité, justice et efficacité se combineraient donc harmonieusement.

De plus, et c’est également un point important pour l’efficience de notre justice pénale, la dualité des fautes pénale et civile permettrait de solutionner l'engorgement des juridictions pénales et des parquets. L’affaire se résoudrait devant la juridiction civile, voire, on peut l’espérer, via une solution avec l’assurance.

La France vient d’opter pour le principe de la dualité des fautes

Il convient de souligner que la France, pays qui appliquait également le principe de l'unité de fautes pénale et civile, a décidé en 2000 de rompre avec cette théorie.

Elle a ainsi modifié son Code de procédure pénale en insérant un article 4-1 qui énonce que "l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du Code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du Code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L-452-1 du Code la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie" [13].

Bon nombre de pays appliquent la dualité des fautes dans leur code pénal

On constatera que bon  nombre de pays de par le monde ont adopté les principes de la dualité des fautes. Ainsi retrouve-t-on le principe dans les codes pénaux d'Autriche (par. 6), du Brésil (art. 17, par. 2), de Bulgarie (art. 4, par. 3), de Grèce (art. 28), de Hongrie (art. 14), de Pologne (art. 7, par. 2), de Roumanie (art. 19, par. 2), de Russie (art. 9), de Suède (Introd.), de Suisse (art. 18, par. 3 et art. 53 du Code des obligations), de Yougoslavie (art. 7, par. 3). Il en va de même dans le Code pénal type pour l'Amérique latine (art. 26) [14]

Des propositions de loi en faveur de la dualité des fautes ont déjà été déposées devant le Parlement belge

Par ailleurs, en Belgique, divers projets et propositions de loi ayant pour but d'intégrer le principe de dualité de fautes pénale et civile dans notre droit ont déjà été déposés devant le Parlement [15].

On citera notamment la proposition 1085 de Madame Joëlle Milquet déposée au Sénat (session 97/98) qui s’exprimait comme suit: "La solution apportée par la présente proposition, outre qu'elle permettra désormais au juge pénal de traiter les prévenus avec équité sans pour autant maltraiter les victimes, présente le double avantage de rendre possible une évolution de la responsabilité civile plus conforme à ses finalités propres et, sur le plan pénal, de renouer avec la définition ­suffisamment affinée de la répréhensible négligence telle qu'elle se retrouve dans la plupart des législations pénales étrangères comme dans l'exposé des motifs de notre Code pénal".
La proposition de loi souhaitée par l’Union des Villes et Communes de Wallonie
En avril 2006, l’Union des Villes et Communes de Wallonie a envoyé un courrier aux parlementaires fédéraux afin de leur demander de réfléchir à une loi intégrant la notion de dualité des fautes pénale et civile. Le lecteur trouvera le texte de notre proposition et son argumentaire spécifique dans les lignes qui suivent.

Proposition de texte visant à intégrer
le principe de dualité des fautes pénale et civile dans notre droit

"Proposition de loi modifiant le titre préliminaire du Code d'instruction criminelle en ce qui concerne l'autorité de chose jugée"

Proposition de texte

Article 1er

Un article 420ter, rédigé comme suit, est inséré dans le Code pénal:

"Au sens des articles 418 et 420 du présent Code, on entend par défaut de prévoyance ou de précaution la faute lourde ou la faute légère habituelle appréciée en tenant compte des possibilités réelles de vigilance et de diligence du prévenu."

Article 2

A l'article 4 du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle, il est inséré entre l'alinéa 1er et l'alinéa 2 un alinéa nouveau rédigé comme suit:

"La décision de la juridiction pénale d'acquitter le prévenu au motif que la faute de ce dernier n'est pas établie ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation du dommage en application des règles de droit civil."

Commentaires des articles

Article 1er

Cette disposition vise à rétablir l'appréciation in concreto de la faute pénale, c'est-à-dire compte tenu de toutes les circonstances inhérentes à l'individu et à la cause.

Actuellement, la jurisprudence estime que la faute des articles 418-420 du Code pénal est la même que celle de l'article 1383 du Code civil; cela signifie que la faute des articles 418-420 du Code pénal est dans l'état actuel des choses appréciée in abstracto, c'est-à-dire par rapport au "modèle" de l'homme honnête, diligent et prudent placé dans les mêmes circonstances.

Article 2

Cette disposition a pour but de permettre que l'acquittement au pénal ne préjudicie aucunement une réparation au civil. Ainsi, la victime pourra être indemnisée même si l'auteur n'a pas été condamné pénalement du fait de l'inexistence d'une faute pénale. Par cette disposition, le juge pénal ne se sentira plus moralement obligé de condamner un individu qui n'a pas commis une faute pénale, sachant que la victime pourra être indemnisée devant le juge civil.

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  1. [Remonter] Cass., 17.7.1884, Pas., 1884, I, p. 275.
  2. [Remonter] Cass., 1.2.1887, Pas., 1877, I, p. 92, Cass., 5.10.1893, Pas., 1893, I, pp. 321 et 328, Cass., 4.3.1894, Pas., 1894, I, p. 132; Cass., 10.2.1949, Pas., 1949, I, p. 168; Cass., 7.1.1952, R.G.A.R., 1952, n° 5.059; Cass., 19.2.1988, Pas., 1988, I, p. 733.
  3. [Remonter] Cass., 15.12.1992, Pas., 1992, I, p. 1383; Cass., 27.9.1985, Pas., 1986, I, p. 80.
  4. [Remonter] Mons, 9.10.2002, inédit.
  5. [Remonter] Corr. Dinant 15.4.1986 et Liège 26.3.1987 J.L.M.B., 1987, 845.
  6. [Remonter] Cass., 18.10.1971, inédit.
  7. [Remonter] Affaire récente du Bourgmestre de Damme.
  8. [Remonter] Civ. Dinant, 7.12.1971, inédit, confirmé par Liège, 8.2.1973, inédit.
  9. [Remonter]Liège, 24.5.1982, inédit; Cass., 27.10.1982, Pas., 1982, I, 278.
  10. [Remonter] R. O. Dalcq, Faute civile - faute pénale, Ann. Dr., 1983, pp. 73 et s.; P.H. Delvaux, La prescription de l'action civile découlant d'une infraction involontaire. Pour un retour à la dualité des fautes pénale et civile, R.G.A.R., 1977, n° 9707; P.H. Delvaux, Réflexions sur certains effets seconds de la dissociation entre faute pénale et faute civile, Ann. Dr., 1983, pp. 113 et s.; P.H. Delvaux et G. Schamps, Unité ou dualité des fautes pénale et civile: les enjeux d'une controverse, R.G.A.R., 1991, n° 11795; Y. Hannequart, Faute civile - faute pénale, Ann. Dr., 1983, pp. 96 et s.; A. Meeus, Faute pénale et faute civile, R.G.A.R., 1992, n° 11900.
  11. [Remonter] C. Hennau et J. Verhaegen, Droit pénal général, Bruylant, 1991, p. 302, n° 411. M. Boverie, La responsabilité pénale des mandataires locaux, Mouv. com., 3/1998, p.148.
  12. [Remonter] Voy. notamment, C. Hennau et J. Verhaegen, op. cit., p. 302, n° 410; Ph. Delvaux et G. Schamps, op.cit., p. 10.504.
  13. [Remonter] L. 10.7.2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (JO n° 159 du 11.7.2000).
  14. [Remonter] Voir l’exposé des motifs de la proposition de loi déposée par Madame Joëlle Milquet n° 1085, Sénat session 97/98.
  15. [Remonter] Doc. Sén., 1-883/2, 1997-1998; Doc., Ch., 1574/1; 1997-1998; Doc., Sén., 1-1085/1, 1997-1998; Doc., Ch., 0363/001, 1999-2000; Doc., Sén., 2-298/1, 1999-2000; Doc., Sén., 3-52/1, 2003.

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Date de mise en ligne
1er Septembre 2007

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