Projet de loi - Heures d'ouverture dans le commerce, l'artisanat et les services : l’avis de l’UVCW
A la demande de la Direction générale de la Politique des PME, l’Union des Villes et Communes de Wallonie vient de remettre un avis sur le projet de loi visant à modifier la loi du 10 novembre 2006 relative aux heures d'ouverture dans le commerce, l'artisanat et les services.
L’UVCW a voulu, tout d'abord, souligner les efforts manifestes déployés dans ce projet de loi pour répondre à deux problématiques concrètes et persistantes rencontrées dans de nombreuses communes wallonnes :
- les ouvertures dominicales non autorisées ;
- l’existence de commerces problématiques qui opèrent sans aucun respect des horaires légaux.
Concernant le repos hebdomadaire, la presse a récemment relayé que de nombreux commerces ouvrent 7 jours sur 7, en violation flagrante de l'obligation légale de fermeture hebdomadaire, et cela souvent en toute impunité. Toujours selon ces sources, malgré près de 470 contrôles réalisés en 2021, seuls 45 procès-verbaux ont été dressés. Ce qui témoigne d'une difficulté majeure à assurer une surveillance efficace sur le terrain. Par ailleurs, les sanctions financières actuelles sont généralement jugées dérisoires au regard du chiffre d'affaires des établissements concernés, ce qui ne leur permet pas de remplir le rôle dissuasif.
Dans ce contexte, l'évolution proposée dans le projet de loi visant, notamment, à supprimer le principe du repos hebdomadaire obligatoire, semble être une réponse réaliste à une situation de terrain qui ne pouvait plus être ignorée, tout en répondant à une demande claire de certains acteurs du secteur.
Par ailleurs, l’UVCW salue l'attention portée à la problématique des commerces qui échappent au cadre légal en exploitant les failles des dérogations existantes. Ces magasins, souvent ouverts en dehors de tout horaire légal, bénéficient d'un flou juridique nourri par des critères trop imprécis ou difficiles à vérifier en pratique. La volonté de clarifier et de resserrer les conditions de ces dérogations dans le projet de loi constitue donc une avancée essentielle. Elle est non seulement bienvenue, mais surtout nécessaire pour garantir une application équitable de la législation et pour enrayer la prolifération de ces commerces illégaux et particulièrement problématiques dans certaines zones.
Toutefois plusieurs points pratiques et juridiques méritent encore clarification et vigilance.
- Application et contrôle des nouvelles exceptions pour les « magasins de journaux »
Le premier critère prévu pour pouvoir bénéficier des dérogations est de disposer de minimum 200 titres différents de journaux, mensuels, périodiques, etc. Cette exigence soulève toutefois une question légitime : comment et par qui ce critère sera-t-il vérifié concrètement sur le terrain ? Afin de garantir une mise en œuvre effective et cohérente sur l'ensemble du territoire, il est essentiel de prévoir un cadre opérationnel clair qui pourra être appliqué de manière uniforme.
Le second critère impose que 50 % de l'espace de vente soit consacré à l'exposition de journaux, livres, papeterie, carterie, mais aussi de produits du tabac et d'accessoires pour cigarettes électroniques. Cette obligation semble difficilement conciliable avec la législation fédérale en vigueur qui interdit précisément l'exposition visible des produits du tabac dans les points de vente. En effet, les dispositifs occultants imposés par cette législation rendent très difficile, voire impossible la vérification concrète de l’application de ce critère.
Il serait aisé pour un commerce de prétendre respecter cette condition d'exposition tout en ne proposant en réalité aucun produit derrière les dispositifs occultants, ce qui rendrait ce critère tout aussi peu applicable ou effectif que les critères actuellement en vigueur. Par ailleurs, comme pour le premier critère se pose la question essentielle de la mise en œuvre : qui sera chargé de vérifier cette condition sur les terrains et par quels moyens de contrôle ? Cette disposition mérite donc un ajustement ou une clarification juridique et pratique afin d'en garantir l'applicabilité effective.
- Application et contrôle des autres exceptions
L’UVCW est particulièrement surprise que le projet de loi maintienne le critère des 50 % du chiffre d'affaires annuel comme condition d'accès à certaines exceptions horaires, alors même que l'exposé des motifs reconnaît explicitement que ce critère est difficilement applicable, notamment pour les magasins de journaux.
Cette difficulté n'est pourtant pas propre à ces seuls établissements. Elle se pose avec la même acuité pour les autres catégories de commerce visées par la législation:
- ceux vendant notamment des supports d'œuvres audiovisuelles,
- des carburants et huiles pour véhicules automobiles,
- des crèmes glacées en portion individuelle,
- des denrées alimentaires préparés dans l'unité d'établissement,
- de l'électricité via des bornes de recharge pour véhicules électriques ou hybrides.
Dans la pratique, il est quasiment impossible de vérifier cette condition liée au chiffre d'affaires. Ni les communes, ni les agents fédéraux chargés du respect de la législation, n'ont les moyens, ni les outils nécessaires pour accéder aux chiffres comptables précis des établissements, a fortiori lorsque ceux-ci sont nouvellement installés ou changent régulièrement de dénomination sociale pour contourner la loi.
Ce phénomène est bien connu sur le terrain et il a pour conséquence directe qu'aucune comptabilité ne permet de retracer une activité sur une période suffisamment longue pour vérifier quoi que ce soit. Cette situation permet aujourd'hui à de nombreux établissements problématiques de proclamer qu'ils répondent aux critères dérogatoires sans qu'aucune vérification effective ne soit possible, ce qui vide la loi de toute portée contraignante. Il est donc difficilement compréhensible que ce critère problématique ait été conservé dans le texte alors même que le projet ambitionne de mettre fin à des abus bien connus et que certains d'entre eux s'appuient précisément sur ce point faible.
- Suppression des sanctions administratives communales
La suppression des sanctions administratives communales, en cas du non-respect des règlements communaux, soulève de sérieuses interrogations. Certes, la volonté d'uniformiser les mécanismes de sanction est compréhensible mais dans les faits cela signifie une perte d'autonomie pour les communes, qui sont, faut-il le rappeler, en première ligne pour encadrer et réguler ce type de commerce.
En outre, cette suppression crée une incertitude juridique manifeste : en effet, le projet ne prévoit aucun mécanisme clair en cas de non-respect des règlements communaux. Faut-il en déduire que de telles infractions resteront impunies, faute de base légale explicite pour intervenir ?
A ce jour, le texte n’envisage de sanctions que pour les violations de la loi elle-même, sans préciser si ces sanctions seront également applicables au non-respect des règlements communaux pris sur sa base. Il est pourtant essentiel de garantir que les dispositions locales restent effectives, faute de quoi, on risque de désarmer les autorités locales dans la mise en œuvre concrète de la législation.
Vu qu’un nombre important de communes ont déjà adopté des règlements communaux spécifiques sur les night-shop avec un certain succès, il essentiel que des sanctions restent encore possibles pour ce type de règlement.
- Contrôle de la législation
Si la volonté d'uniformiser les sanctions peut se comprendre en théorie, elle soulève de nombreuses questions pratiques dans le contexte actuel. La mise en œuvre d'un dispositif de contrôle centralisé suppose des moyens humains conséquents. Or, à ce jour, rien ne permet de garantir que l'Administration fédérale dispose effectivement du personnel nécessaire pour assurer un suivi régulier et effectif du respect de la législation.
La presse elle-même a rappelé, en 2021, que les effectifs en charge de ces contrôles étaient largement insuffisants, notamment, pour le contrôle du non-respect du repos hebdomadaire.
En outre, il convient de rappeler que les services de police n'ont pas comme priorité de contrôler le respect de cette législation et qu’ils ne seront donc pas mobilisés à cette tâche, ce qui réduit encore la portée concrète du dispositif.
Dès lors, peut-on obtenir l'assurance que des moyens humains suffisants seront bien affectés à cette mission et que la Ministre veillera à ce que le cadre ne reste pas purement théorique ?
Enfin, en cas de constat d'infraction, les communes disposeront-elles d’un point de contact clair et facilement mobilisable au sein de l’Administration fédérale ? Faute de quoi les infractions constatées resteront sans suite et la réforme perdra toute portée effective.
- Point légistique et question de mise en oeuvre
Au niveau légistique, à l'article 12 du projet, si la référence à l'article 8 est supprimée il conviendra d'ajuster la rédaction de l’article, on ne parlera plus « des articles 6 » mais bien « de l’article 6 ».
Enfin, une question de mise en œuvre mérite d'être posée concernant la mise en place d’une période transitoire pour permettre aux établissements concernés de s'adapter aux nouvelles règles, notamment en matière d'exposition ou de critères de chiffre d'affaires. Sans disposition transitoire claire, l'entrée en vigueur immédiate du texte pourrait susciter une insécurité juridique importante, tant pour les exploitants que pour les autorités chargées du contrôle.