Valorisation de terres excavées en carrières : quelles sont les nouvelles règles applicables ? Echanges avec la Fédération de l’industrie extractive
En matière de valorisation des terres excavées, le Code de développement territorial (CoDT) est assez silencieux[1]. Seul l’article D.II.33 du CoDT en parle de manière explicite puisqu’il prévoit que la valorisation de terres peut être autorisée en zone de dépendances d’extraction (ZDE) aux conditions et selon la procédure déterminée par le Gouvernement. Ce point est réglé à l’article R.II.33-1 du CoDT, lequel a fait l’objet de modifications dans le cadre de la dernière réforme de la partie réglementaire du CoDT, entrée en vigueur ce 1er août 2024.
Le présent article a pour objectif de présenter lesdites modifications, ainsi que le contexte particulier dans lequel elles s’inscrivent. La Fédération de l’industrie extractive (FEDIEX)[2] a, dans ce cadre, accepté d’échanger avec nous son point de vue sur la réforme du régime applicable à la valorisation de terres excavées dans les carrières.
Les carrières peuvent consister en des espaces intéressants en termes de développement de la biodiversité. « Plus que toute autre industrie, les carrières entretiennent avec les écosystèmes et le milieu environnement un lien très étroit. Si l’ouverture d’une carrière provoque inévitablement une perturbation importante de la topographie et de l’occupation du sol, son exploitation va très souvent permettre de créer différents habitats à haute valeur biologique et devenus rares en Belgique : falaises et arènes rocheuses ou sablonneuses, éboulis, plans d’eau temporaires ou très profonds, pelouses calcaires ou prairies maigres, etc. Ces milieux sont d’autant plus profitables pour le développement de la biodiversité qu’ils sont souvent créés en nombre dans les carrières avec des interactions fortes entre eux et relativement protégés des agressions externes. »[3]
Sébastien Loiseau, administrateur délégué à la FEDIEX, souligne qu’ « il ne faut pas oublier que nous sommes avant tout des producteurs de pierres et de chaux. Si notre volonté est de considérer la carrière comme un territoire multifonctionnel qui pourra en complément tantôt accueillir des énergies renouvelables, des projets de synergie industrielle ou encore d’économie circulaire, la protection du gisement et de la ressource est notre priorité première ».
Ce contexte environnemental particulier a justifié le fait que, dans le cadre de la réforme de la partie réglementaire du CoDT, le législateur a souhaité limiter les possibilités de valorisation de terres excavées en ZDE. En effet, à partir du 1er aout 2024, seules les terres d’un type d’usage équivalent ou plus sensible que le type III pourront y être valorisées[4].
Selon Sébastien Loiseau, cette réforme consiste en une « clarification des intentions initiales du législateur quant à la valorisation de terres dans les carrières. En effet, son intention originelle n’était pas d’autoriser la valorisation de terres de type V (ou IV) dans la fosse d’extraction, partie de la carrière qui se situe potentiellement au plus près de milieux sensibles. C’est pourquoi en correspondance de l’usage de fait de la partie de la ZDE réservée à l’extraction, il a prévu de limiter les apports aux terres de type III ou inférieur. »
Il ajoute : « Concrètement, un apport de terres de type III maximum se justifie notamment au regard des éléments suivants :
- Les caractéristiques de milieu de la fosse d’extraction (en droit comme en fait : la zone d’extraction). En l’état, les valeurs seuils fixées pour les polluants dans le cadre des usages de type IV et V ne correspondent pas aux caractéristiques de ce milieu,
- Les possibilités de réaménagement des carrières autorisées par le CoDT, à savoir la conservation de la nature, l’agriculture, la sylviculture ; ces réaménagements devant se faire au moyen de terres correspondant à ces usages, pas au moyen de terres de type V donc. »
Ainsi, voici les modifications apportées à la partie réglementaire du CoDT (nouveautés soulignées en gras) :
Avant la réforme
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Article R.II.33-1 |
Article R.II.33-1
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§ 1er. (…) Pour la valorisation, peuvent être autorisés :
- les terres conformes aux conditions d'utilisation prévues par l'arrêté du 5 juillet 2018 relatif à la gestion et à la traçabilité des terres et modifiant diverses dispositions en la matière; (…)
§ 2. Ni le regroupement ni la valorisation ne sont autorisés :
1. dans les sites reconnus en vertu de la loi du 12 juillet 1973 sur la conservation de la nature ;
2. dans une zone de prévention arrêtée, dans une zone de prévention ou dans une zone de surveillance relative aux captages d'eaux potabilisables instaurée en vertu du Livre II Code de l’Environnement ;
3. dans les carrières ayant été exploitées, sauf dans le cas où un permis autorisant le regroupement ou le prétraitement de déchets inertes ou autorisant la modification du relief du sol au moyen de matériaux exogènes a été délivré avant l'entrée en vigueur du présent Code. |
§ 1er. (…) Pour la valorisation, peuvent être autorisés :
- les terres conformes aux conditions d'utilisation prévues par l'arrêté du 5 juillet 2018 relatif à la gestion et à la traçabilité des terres et modifiant diverses dispositions en la matière, sans que le type d’usage des terres ne soit supérieur au type d’usage III ; (…)
§ 2. Ni le regroupement ni la valorisation ne sont autorisés : (…)
1. dans les sites reconnus en vertu de la loi du 12 juillet 1973 sur la conservation de la nature ;
2. dans une zone de prévention arrêtée, dans une zone de prévention ou dans une zone de surveillance relative aux captages d'eaux potabilisables instaurée en vertu du Livre II Code de l’Environnement ;
3. dans les carrières ayant été exploitées, sauf : a) dans le cas où un permis autorisant le regroupement ou le prétraitement de déchets inertes ou autorisant la modification du relief du sol au moyen de matériaux exogènes a été délivré avant l’entrée en vigueur du présent Code ; b) s’il est démontré que la situation de fait actuelle ne satisfait pas à la sécurisation du site ou ne constitue pas un réaménagement satisfaisant au regard du bon aménagement des lieux ou de l’environnement et ne compromet pas le gisement. Par « carrières ayant été exploitées », il faut entendre les carrières dont le permis autorisant l’activité est arrivé à échéance ou est caduc à la suite d’un chômage de l’activité durant deux années consécutives. |
La réforme a donc pour objectif de concilier les besoins en termes de sites récepteurs de terres excavées[5], dont le manque entraine des conséquences tant financières qu’environnementales, et la nécessité de préserver la biodiversité présente au sein des carrières.
L’UVCW salue cet objectif, mais souhaite néanmoins attirer l’attention sur le fait que, selon elle[6] :
- En termes de limitation de la valorisation de terres excavées en ZDE excavées à un type d’usage équivalent ou plus sensible que le type III, il conviendrait de prévoir une disposition similaire au sein de l’AGW Terres[7] (qui n’a pas été modifié concomitamment à la partie réglementaire du CoDT) et ce, afin de garantir un cadre réglementaire clair et cohérent. En effet, en appliquant les règles prévues par l’AGW Terres, il est possible de valoriser, en ZDE, des terres d’un type supérieur au type III, sauf si l’usage de fait actuel ou projeté consiste en de l’extraction.
- Il est regrettable que l’interdiction de valoriser des terres dans des carrières ayant été exploitées n’ait pas été supprimée. En effet, une telle interdiction ne se justifie pas : la valorisation de terres dans des carrières ayant été exploitées permettrait, dans certains cas, la réhabilitation d’anciens chancres en y intégrant les objectifs de développement durable.
Le Gouvernement a néanmoins veillé à insérer une nouvelle exception à cette interdiction. Si cette insertion est louable, il n’en reste pas moins qu’elle est, à notre sens, imprécise et entraine des appréciations subjectives sources d’insécurité juridique.
Précisons, néanmoins, que le rapport de l’ASBL Walterre pour l’année 2023 indique que relèvent des types I à III :
- 77 % des terres valorisées d’un site d’origine vers un site récepteur en Wallonie ;
- 47 % des terres valorisées d’une installation autorisée vers un site récepteur en Wallonie.
Les sites récepteurs établis en ZDE pourront donc déjà accueillir un flux important de terres excavées, mais ces derniers ne seront pas suffisants pour rencontrer la demande en la matière.
A cet égard, nous soulignons que la Déclaration de Politique Régionale wallonne pour la législature 2024-2029 indique que le Gouvernement « veillera également à faciliter la création de sites récepteurs de terres excavées et évaluera la règlementation afin d’améliorer son efficience et de réduire la charge financière et administrative sur les acteurs concernés. »
L’UVCW espère donc que des exutoires seront rapidement créés non seulement en ZDE, mais aussi dans d’autres zones du plan de secteur afin de permettre également la valorisation de terres de type IV et V.
Par ailleurs, l’UVCW souhaite insister sur le fait que l’augmentation de l’offre en termes de sites récepteurs ne sera pas suffisante pour réguler la situation actuelle et pour rencontrer les objectifs initiaux de l’AGW Terres, à savoir la minimisation des excavations des terres et de leurs mouvements, ainsi que la réutilisation maximale des terres excavées sur le site d’origine.
Il conviendra donc également de travailler en parallèle sur la sensibilisation des acteurs quant à la nécessité de minimiser les excavations de terres et de réutiliser au maximum les terres excavées sur leur site d’origine. Par ailleurs, une réforme des réglementations applicables devrait être envisagée afin de permettre plus de possibilités de valorisation de terres excavées. Enfin, une procédure efficiente relative aux concentrations de fonds devrait être mise en place.
A cet égard, la FEDIEX rejoint l’UVCW :
« Ce n’est d’ailleurs pas la seule possibilité que nous entrevoyons pour créer des exutoires complémentaires (au profit de toute la filière de valorisation) :
- Optimiser leur utilisation dans l’assiette de voirie (à l’image de ce que la Flandre fait en matière d’aménagements routiers). La Wallonie procédait auparavant par cette voie. Elle ne le fait plus aujourd’hui, pourquoi ?
- Réserver les sites récepteurs de type V aux seules terres de type V et éviter de les saturer avec des terres de type I à III ».
[1] Pour plus d’informations sur la question de savoir dans quelles zones du plan de secteur peuvent s’implanter des installations autorisées de gestion de terres, lire notre article sous ce lien.
[2] La FEDIEX est une fédération professionnelle qui regroupe l'ensemble des entreprises belges actives dans l'extraction et la transformation de roches non combustibles. Ses membres sont producteurs de granulats (calcaires, roches dures, alluvionnaires, marins, sables), de chaux, de dolomie ou de roches ornementales. Elle se préoccupe notamment des aspects socio-économiques, environnementaux, sécurité au travail, qualité des produits, formation à l'usage des explosifs civils.
[3] https://www.fediex.be/upload/plaquette-carrieres-biodiversite--fediex-cvn2gk.pdf.
[4] Ce positionnement du législateur rejoint un avis rendu par la Commission Régionale d’Avis pour l’Exploitation des Carrières (CRAEC) en 2021 : « La CRAEC demande au Gouvernement l’établissement d’un cadre légal strict, clair et non ambigu, visant à limiter aux types I à III sans aucune possibilité de dérogation les terres admissibles en Zone de Dépendances d’Extraction ou en Zone d’Extraction ».
[5] Pour plus d’informations à cet égard, nous vous invitons à lire l’article suivant.
[6] Pour plus d’informations à cet égard, nous vous invitons à lire :
- L’avis rendu par l’UVCW sur la réforme de la partie décrétale du CoDT ;
- L’avis rendu par l’UVCW sur la réforme de la partie réglementaire du CoDT.
[7] Arrêté du Gouvernement wallon du 5 juillet 2018 relatif à la gestion et à la traçabilité des terres et modifiant diverses dispositions en la matière, M.B., 12 octobre 2018.
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