La création d'hébergements touristiques requiert-elle un permis d'urbanisme ?
Depuis l’entrée en vigueur du CoDT, la création d’un hébergement touristique dans une construction existante est considérée comme une modification de destination au sens de l’article D.IV.4 7°. L’obligation d’obtenir au préalable un permis d’urbanisme n’est pas pour autant acquise. Rappel des principes et conséquences potentielles.
Notons d’emblée que cette analyse s’entend sans préjudice des permis requis pour d’autres raisons que la simple modification de destination pour la création d’un hébergement touristique (en cas de transformation au sens de l’article D.IV.4 5° par exemple) ou des différentes autorisations nécessaires à l’ouverture dudit hébergement en vertu d’autres polices administratives, spécialement au regard du Code wallon du tourisme.
La notion d’ « hébergement touristique »
Le CoDT ne définit pas ce qu’il entend par « hébergement touristique »[1]. La tentation est donc grande de se référer à la définition énoncée par le Code wallon du tourisme qui vise « le terrain ou logement mis à disposition d’un ou plusieurs touristes[2], à titre onéreux et même à titre occasionnel »[3]. Bien qu’intellectuellement raisonnable, cette référence ne nous semble pas pour autant pratiquement pertinente ; en tout cas dans toutes ses composantes.
Nous pensons spécialement à la référence au « terrain ou logement » qui constitue un prérequis non visé par le CoDT. Ce dernier soumet à permis la création d’un hébergement touristique « dans une construction existante ». Il n’impose pas que cette construction soit, au préalable, un logement[4] (nous pourrions imaginer l’aménagement d’une grange en gîte, sans « transformations » existantes). Il exclut par ailleurs expressément les hébergements touristiques créés hors d’une « construction ». Les installations fixes ou mobiles, posées ou placées sur un « terrain » et dont la destination serait modifiée pour en faire de tels hébergements, ne sont pas visées par l’article D.IV.4 7°.
Nous connaissons surtout la propension de la police de l’aménagement du territoire à vouloir créer ses propres concepts (la notion de « logement »[5] est un bon exemple), indépendants des autres polices, et (justifiés comme) mieux susceptibles de rencontrer les objectifs recherchés.
En conséquence, et à défaut de plus de précisions, nous proposons de se référer à une approche communément admise et généraliste. L’hébergement touristique au sens du CoDT est celui mis à disposition principalement de touristes[6], à titre onéreux, de façon régulière ou occasionnelle. Il se distingue ainsi du « logement » au sens de l’article D.IV.4 6° – qui est notamment destiné à la « résidence habituelle » – et du kot au sens de l’article D.IV.4 7°, qui vise les chambres destinées à être occupées par des étudiants
L’hébergement touristique peut, en conséquence, recouvrir différents termes et prendre différentes formes: hôtel, chambre d’hôte, gîte, gîte rural, gîte à la ferme, meublé de vacances, Airbnb, etc[7].
La nécessité d’obtenir un permis d’urbanisme pour créer un hébergement touristique
En l’état actuel de la législation, la création d’un hébergement touristique dans une construction existante n’est pas subordonnée à permis d’urbanisme préalable en ce qu’il constitue une modification de destination[8]. En effet, bien que l’article D.IV.4, 7° impose un permis d’urbanisme pour « modifier la destination de tout ou partie d’un bien, en ce compris par la création dans une construction existante d’un hébergement touristique ou d’une chambre occupée à titre de kot », ce même article précise également que c’est « pour autant que cette modification figure sur une liste arrêtée par le Gouvernement »[9]. Or, si cette faculté a été utilisée en ce qui concerne les chambres d’étudiants occupées à titre de kot, d’une ou plusieurs pièces existantes (cf. art. R.IV.4-1, al. 2, du CoDT), elle ne l’a pas été concernant les hébergements touristiques.
La question des services au sens de l’article R.IV.4-1 CoDT
La question se pose cependant de savoir si la création d’un hébergement touristique n’est pas indirectement visée par l’article R.IV.4-1 al. 2, 5° qui stipule que « la modification de la destination de tout ou partie d’un bien au sens de l’article D.IV.4, alinéa 1er, 7° est celle qui crée, dans une construction existante ou en dehors de celle-ci, une nouvelle fonction différente de la fonction principale établie sur le bien et qui consiste (…) en la mise en œuvre d'une offre en vente ou en échange de biens et services sur un espace supérieur à trois cents mètres carrés, dans la mesure où le bien se situe en dehors d’une zone d’activité économique mixte visée à l’article D.II.29 ou d’une zone d’aménagement communal concerté à caractère économique visée à l’article D.II.32 et destinée à recevoir les activités visées à l’article D.II.29[10]».
Cette notion de « service » interpelle. Un hébergement touristique n’est-il pas, par essence, un « service » et, partant, visé également par cette disposition ? Tentons de répondre à cette question en adoptant un raisonnement chronologique. Il existait, avant l’adoption du décret du 27 novembre 1997, des « zones de services » au plan de secteur. La doctrine considérait que ces zones étaient destinées à accueillir les « activités du secteur tertiaire ». Cette notion n’était pas définie, mais renvoyait à la définition communément admise : toutes les activités non directement productrices de biens de consommation[11] (hôtels, restaurants, garage d’exploitation, entreprises commerciales, etc.)[12]. L’adoption du décret précité en 1997 vit l’apparition de la zone d’activité économique mixte qui couvrait – entre autres – les anciennes zones de service. Les activités économiques mixtes pouvaient par ailleurs être autorisées en zone d’habitat et en zone d’habitat à caractère rural[13]. Le CoDT a maintenu la zone d’activité économique mixte et la décrit comme étant celle destinée aux activités d’artisanat, de service, de distribution, de recherche ou de petite industrie[14]. Les activités de services restent autorisables en zone d’habitat et d’habitat à caractère rural.
Sur la base de cette analyse, ne pourrait-on pas considérer que la création d’hébergements touristiques – qui constitue indéniablement une activité du secteur tertiaire et donc, un « service » – répondant aux conditions énoncées à l’article R.IV.4-1 serait potentiellement soumise à permis d’urbanisme préalable ? A la lecture stricte de ce raisonnement, il nous semble pouvoir être répondu par l’affirmative. Ceci étant, puisque le législateur a vraisemblablement voulu créer une catégorie spécifique en distinguant les hébergements touristiques des (autres) services pour les soumettre à un régime (potentiellement) distinct, il nous semble tenable de considérer que cette disposition spéciale l’emporte sur la disposition générale. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs déjà pu considérer que la notion de « services » ne recouvre que les services qui ne sont pas spécialement qualifiés[15]. Partant, la notion de « service » visée à l’article R.IV.4-1 al. 2, 5° ne viserait pas les hébergements touristiques dont la création resterait, en l’état et au sens strict, dispensée de permis faute d’arrêté d’exécution. Le revers de la médaille de cette interprétation exclusive serait alors qu’à défaut d’être spécifiquement mentionnés au sein des zones d’activités économiques mixtes, les hébergements touristiques n’y seraient plus autorisables comme « services » et donc, sans un recours au mécanisme dérogatoire (D.IV.6 notamment)[16]. Il pourrait par contre être, à notre sens, admis en zone d’habitat, d’habitat à caractère rural ou de loisir comme étant des « hébergements de loisir », notion comprise dans celle « d’équipements touristiques »[17].
Conclusion
De cette analyse, il se déduit qu’actuellement :
- la modification de la destination d’une construction existante pour créer un hébergement touristique n’est pas soumise à permis d’urbanisme préalable sur la base de l’article D.IV.4 7° ;
- l’hébergement touristique ne peut être considéré comme un « service » et, partant, soumis (indirectement) à permis par le biais de l’article R.IV.4-1 al. 2, 5° ;
- qu’en ce qu’il ne peut être considéré comme un « service », l’hébergement touristique n’est plus compatible avec la zone d’activité économique mixte et ne peut plus y être autorisé qu’au travers d’un mécanisme dérogatoire.
Il n’est pas certain que ces conclusions rencontrent les intentions initiales du législateur. Il nous semblerait dès lors souhaitable de clarifier cette situation afin de garantir la sécurité juridique des activités existantes et à venir. En l’attente de cette nécessaire clarification, la prudence est, à notre estime, de mise.
[1] Le concept a été introduit par amendement lors des travaux parlementaires, mais sans plus d’explications.
[2] « La personne qui, pour les loisirs, la détente ou les affaires, se rend dans un lieu de destination situé au-delà de la commune où elle réside habituellement ou des communes limitrophes à celle-ci et qui séjourne hors de sa résidence habituelle » (art. 1er 49° du Code wallon du Tourisme).
[3] Art. 1er D 28° du Code wallon du tourisme.
[4] Même si, il faut l’admettre, cette hypothèse sera la plus fréquente.
[5] Comparer l’art. D.IV.4 6° du CoDT et l’article 1er 3° du CWLHD.
[6] Au sens général du terme, c’est-à-dire « une personne qui se déplace ou voyage pour le plaisir » (cf. Petit Robert). La référence à la notion de « touriste » nous semble indiscutablement liée à l’objectif même d’un hébergement « touristique ». De cette précision, il pourrait être soutenu que les hébergements non destinés principalement aux « touristes », comme ceux destinés aux « déplacements professionnels », ne rentreraient pas dans cette définition. Mais ne parle-t-on pas également de « tourisme d’affaire » ?
[7] Pour autant, comme nous l’avons évoqué en note de bas de page n°6, que ces hébergements soient principalement destinés aux « touristes », exclusion faite donc, potentiellement, des hôtels d’affaires ou assimilés.
[8] B. Havet, A. Zians, « Permis d’urbanisme et certificat d’urbanisme n° 2. Champ d’application et effets » in Le nouveau Code du développement territorial (CoDT), Bruxelles, Éditions Larcier, 2017, p. 319.
[9] J.-F. Cartuyvels, E. Orban de Xivry, « Permis d’urbanisme : les nouveautés apportées par le CoDT » in Droit de l'urbanisme - CoDT(bis) et COBAT : quelles nouveautés pour la pratique notariale ?, Bruxelles, Éditions Larcier, 2016, p. 211-246
[10] Art. R.IV.4-1, al. 1er, 5° CoDT.
[11] Le Petit Robert.
[12] F. Haumont, L’Urbanisme en Région wallonne, Larcier, 1996.
[13] F. Haumont, L’urbanisme en Région wallonne, Larcier, 2006
[14] Art. D.II.29 CoDT.
[15] CE., 219.367, 15.5.2012, Vantomme et Crts : « dans le système de zonage organisé par le législateur aux articles 25 et ss. du CWATUP, la catégorie « service » n’englobe pas toutes les activités de service au sens commun; que, en effet, à l’article 30, al. 1er, le législateur établit, à côté des services, les catégories d’activités de recherche et de distribution qui, au sens commun, sont aussi des activités de service et qui sont également admises en zone d’activité économique mixte; que la notion de services ne recouvre donc que les services qui ne sont pas spécialement qualifiés; que, aux articles 26 et 27 relatifs à la zone d’habitat et à la zone d’habitat à caractère rural, le législateur admet aussi les "services" et, en outre, notamment, les activités de distribution, de recherche, les établissements socio-culturels, les constructions et aménagements de services publics et d’équipements communautaires, les équipements touristiques et récréatifs; dans ce système, un complexe cinématographique et un bowling relèvent, selon le cas, de la catégorie des établissements socio-culturels, des constructions et aménagements de services publics et d’équipements communautaires ou des équipements récréatifs et ne ressortissent pas à la catégorie générale des services; qu’il s’ensuit, comme le signalait l'administration à l'auteur de l'acte attaqué, qu’un complexe cinématographique et un bowling ne peuvent être admis à ce titre dans la zone d’activité économique mixte ».
[16] Exception faite des hébergements non principalement destinés aux touristes (v. supra, note de bas de page 6).
[17] A notre sens, les hébergements touristiques ne peuvent être assimilés à de la « résidence ». Selon M. Delnoy « (…) la doctrine juridique considère qu’il faut interpréter le terme « résidence » largement. Il convient cependant à notre sens de rester attentif à sa caractéristique principale qui semble résider dans la stabilité des personnes dans les lieux. Ainsi à notre sens, alors qu’une maison de repos pour personnes âgées peut être qualifiée de résidence, il ne peut en aller de même d’un hôtel. Une maison de campagne, par contre, à supposer qu’elle soit à titre principal toujours occupée par les mêmes personnes, pourrait être considérée comme relevant de la résidence et non comme constituant un équipement touristique » (Le Cwatupe expliqué, et indications sur l’avant-projet de CoDT, Edipro, p. 87). Notons cependant que F. Haumont précise pour sa part que « les activités de « services » font référence à des activités économiques qui ne tirent pas leur rémunération de la fabrication ou la vente de produits, mais de services rendus. Restant dans ce cadre, les activités liées aux bureaux, aux banques, au secteur HORECA (encore que les hôtels puissent s’assimiler à de la résidence) » (L’urbanisme en Région wallonne, Larcier, 2006, p. 136).

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