La mise à disposition de fournitures « à titre gratuit » est-elle soumise à la règlementation relative aux marchés publics ?
Il arrive fréquemment que les pouvoirs adjudicateurs locaux se voient offrir la mise à disposition de fournitures, telles que des véhicules ou des cartes touristiques, « à titre gratuit ». En général, le fournisseur compte obtenir une rémunération, non directement du pouvoir adjudicateur, mais via l’exploitation d’espaces publicitaires sur les fournitures concernées. Cette opération doit-elle faire l’objet d’une procédure de marché public ?
Le marché public est défini comme : « le contrat à titre onéreux conclu entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs adjudicateurs et ayant pour objet l'exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services (…) »[1].
L’on constate que le caractère onéreux du contrat constitue un critère conditionnant la qualification de celui-ci en marché public. Si bien souvent le caractère onéreux se manifeste sous la forme d’un paiement d’une somme d’argent de la part du pouvoir adjudicateur à l’adjudicataire, ce n’est pas nécessairement toujours le cas. « Il suffit, en effet, que le pouvoir adjudicateur accorde à son cocontractant une contrepartie évaluable en argent, indépendamment du débiteur du solde de la contreprestation »[2].
Il n’est, dès lors, pas exclu que la contrepartie provienne – entièrement ou non – directement de tiers au contrat de marché public. Ainsi, la qualification de marché public d'un contrat ayant pour objet le placement de plaques de rues fournies par un opérateur économique autorisé à y exploiter l’espace publicitaire, sans aucun paiement par le pouvoir adjudicateur, n'a pas été contestée par le Conseil d'Etat[3]. Dans le même ordre d’idée, le Conseil d’Etat a considéré que constituait un marché public un contrat relatif au dépannage et à l’entreposage de véhicules en infraction, alors même que le contrat n’impliquait aucun paiement dans le chef du pouvoir adjudicateur, l’adjudicataire étant exclusivement rémunéré par les propriétaires des véhicules[4].
Ainsi, pour en revenir aux exemples cités précédemment – à savoir la mise à disposition de véhicules ou la fourniture de cartes des villes et communes à destination des touristes, le fournisseur se réservant le droit d’exploiter l’espace publicitaire sur ceux-ci –, force est de constater que ce type de contrat présente un caractère onéreux. Une telle opération est, dès lors, soumise à la règlementation relative aux marchés publics et doit, donc, faire l’objet d’une mise en concurrence.
La même logique pousse à qualifier de marchés publics certains actes de sponsoring. Il arrive fréquemment que les pouvoirs adjudicateurs, dans le cadre de l’organisation de divers évènements, sollicitent des commerçants locaux afin que ceux-ci sponsorisent l’activité via la fourniture de matériel ou la prestation de certains services, en contrepartie d’une publicité offerte à ceux-ci via la mention des commerces concernés sur les supports de l’évènement, par exemple. S’agissant, pour le pouvoir adjudicateur, d’obtenir des travaux, fournitures ou services à titre onéreux, une telle opération sera soumise à la règlementation relative aux marchés publics [5].
Se pose alors la question de l’estimation du marché public, lorsque la contrepartie ne consiste pas en le paiement d’une somme d’argent mais en l’autorisation d’exploiter de l’espace publicitaire. Pour déterminer le montant économique de l’opération, il convient de prendre en compte la valeur totale du marché du point de vue des soumissionnaires potentiels, ce qui comprend non seulement les montants payés par le pouvoir adjudicateur mais aussi toutes les recettes qui proviendront de tiers[6].
Nous trouvons une illustration dans la jurisprudence française, plus précisément dans l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 11 octobre 1994. Cet arrêt concerne un marché relatif à l’édition du bulletin municipal, l’adjudicataire étant rémunéré par les contrats publicitaires qu’il peut conclure dans ce cadre. Il ressort de cet arrêt que le montant estimé du marché devait tenir compte des recettes obtenues par l’adjudicataire en termes de publicité. Cette conclusion semble conforme à l’article 7 de l’arrêté royal du 18.04.2017 qui dispose que le calcul de la valeur estimée d'un marché est fondé sur le montant total payable, hors taxe sur la valeur ajoutée, estimé par le pouvoir adjudicateur. L'estimation tient compte de la durée et de la valeur totale du marché.
Nous en déduisons que l’estimation du marché devra se baser sur la valeur de l’espace publicitaire concédé à l’adjudicataire, pour toute la durée du marché, éventuellement augmentée du prix payé par le pouvoir adjudicateur si un tel prix est fixé[7].
[1] Article 2, 17°, loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics
[2] C. DUBOIS et I. VAN KRUCHTEN, « La notion de titre onéreux - Essai d’analyse du parent pauvre de la définition du marché public », Jaarboek Overheidsopdrachten / Chronique des Marchés Publics – EBP Consulting, 2010, p. 236
[3] C.E., 24 janvier 1994, n°45.718
[4] C.E., 11 janvier 1995, n°51.107 ; P. THIEL, Mémento des marchés publics, Bruxelles, Kluwer, 2018, p.626
[5] Si le sponsoring consiste uniquement en un don d’argent (sans aucune exécution de travaux, prestation de services ou fourniture de produits) en contrepartie d’une publicité offerte au sponsor, l’on se situe, nous semble-t-il, en dehors de la règlementation relative aux marchés publics. En effet, il ne s’agit pas pour le pouvoir adjudicateur d’obtenir, en contrepartie de la publicité, des travaux, fournitures ou services.
[6] C.J.U.E., 18 janvier 2007, affaire C-220/05, (Auroux c. Commune de Roanne), pt 57 ; C. DUBOIS et I. VAN KRUCHTEN, op.cit. , p.229
[7] La notion de concession de services ou travaux n’est pas abordée ici, la présente contribution se limitant à la seule mise à disposition de fournitures.
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