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Mis en ligne le 10 Décembre 2021

 

  •         Introduction

L’action directe est visée à l’article 1798 du Code civil. Cette disposition prévoit que : « Les maçons, charpentiers, ouvriers, artisans et sous-traitants qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise ont une action directe contre le maître de l'ouvrage jusqu'à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l'entrepreneur au moment où leur action est intentée.

Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur et l'entrepreneur comme maître de l'ouvrage à l'égard des propres sous-traitants du premier. »

L’action directe peut être définie de la manière suivante : « L’action directe est le droit de créance qu’une personne tire, par la volonté expresse du législateur, d’un contrat auquel elle est pourtant étrangère et qui lui permet de réclamer, pour son compte exclusif, paiement au débiteur de son propre débiteur. »[1]

Ainsi, dans le cadre d’un marché public de travaux, le sous-traitant[2] de l’entrepreneur principal et adjudicataire du marché pourrait – en cas de créance en souffrance à l’égard de l’entrepreneur – réclamer le paiement de sa créance directement au pouvoir adjudicateur, à concurrence de que celui-ci doit encore à l’adjudicataire, et ce alors même qu’aucun lien contractuel n’unit le sous-traitant et le pouvoir adjudicateur.

 

Schéma explicatif

  • L’exercice de l’action directe est subordonné à l’existence de deux créances 

1° Le sous-traitant est créancier d’une somme due par l’entrepreneur principal. Il s’agit de la « créance-cause ».

La créance-cause doit être certaine et exigible au moment où l’action directe est introduite[3].

Sur l’étendue de la créance-cause, il convient de préciser que le sous-traitant ne peut agir en action directe contre le maître de l’ouvrage que pour les créances résultant du contrat de sous-traitance relatif au marché octroyé par le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur principal. En d’autres termes, le sous-traitant ne pourrait intenter une action directe contre le pouvoir adjudicateur pour une créance qu’il détient à l’égard de l’entrepreneur principal totalement étrangère au marché[4].   En outre, le bénéfice de l’action directe porte également sur les accessoires de la créance-cause, tels que les intérêts et les clauses pénales[5].

 

2° L’entrepreneur principal est créancier d’une somme due par le pouvoir adjudicateur. Il s’agit de la « créance-assiette ». 

La créance-assiette doit être certaine mais non encore liquide ou exigible[6] lorsque l’action est introduite. L’exercice de l’action directe a pour effet d’immobiliser cette créance dans le patrimoine de l’entrepreneur : la créance est soustraite aux actes de disposition de ce dernier (cession, mise en gage)[7].

Quant à l’étendue de la créance-assiette, l’article 1798 du Code civil énonce que le sous-traitant a « une action directe contre le maître de l'ouvrage jusqu'à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l'entrepreneur au moment où leur action est intentée », sans autre précision. Si la question est débattue, il semble que la jurisprudence majoritaire s’accorderait à privilégier la conception selon laquelle l’action directe porte sur l’ensemble des sommes dont le pouvoir adjudicateur est redevable envers l’entrepreneur au moment où l’action est intentée, et pas uniquement sur les créances de l’entrepreneur relative au chantier sur lequel le sous-traitant est intervenu[8].

 

  •         Les exceptions

Le pouvoir adjudicateur visé par une action directe peut opposer deux types d’exceptions au sous-traitant. D’une part, le pouvoir adjudicateur peut invoquer les exceptions qu’il aurait pu opposer à son adjudicataire, à la condition que ces exceptions aient une cause antérieure à l’exercice de l’action directe[9]. Précisons également que l’étendue de la créance-assiette pourrait se voir réduite à concurrence du montant d’une éventuelle obligation de retenue, en cas de dette fiscale ou sociale de l’adjudicataire, telle que prévue par les articles 402 et suivants du CIR 92 et l’article 30bis de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.

D’autre part, le pouvoir adjudicateur peut opposer au sous-traitant les exceptions que l’adjudicataire pourrait opposer à son sous-traitant, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci qu’elles aient une cause antérieure à l’action directe.  

« Dans la pratique, les unes comme les autres peuvent être de natures très diverses : paiements antérieurs, malfaçons, indemnité de retard, compensation…

Ces exceptions constituent pour le maître de l’ouvrage un moyen de réaction immédiat puisqu’elles vont avoir pour effet de diminuer l’étendue soit de la créance-cause (pour les secondes) soit de la créance-assiette (pour les premières) et donc le montant final payable au sous-traitant. »[10]

 

  •         Effets de l’action directe

L’exercice de l’action directe entraîne deux effets : un effet conservatoire et un effet exécutoire.

L’effet conservatoire implique qu’à partir du moment où le pouvoir adjudicateur a pris connaissance ou a pu raisonnablement prendre connaissance de l’action directe, il ne peut plus valablement payer l’entrepreneur principal. La créance de l’entrepreneur à l’égard du pouvoir adjudicateur est rendue totalement indisponible.

Dans un second temps, le montant le moins élevé entre la créance-cause et la créance-assiette sera payé directement entre les mains du sous-traitant. Il s’agit de l’effet exécutoire. Pour qu’un tel paiement puisse être exigé par le sous-traitant, les deux créances doivent être certaines, liquides et exigibles[11].

« La doctrine considère qu’une fois que le maître de l’ouvrage a été sommé de payer sa dette par le sous-traitant, les intérêts sont dus sur les sommes concernées et ces intérêts peuvent, le cas échéant, être capitalisés. Il faut préciser que l’exigibilité du paiement envers le sous-traitant ne peut naitre qu’au moment où la créance assiette est elle-même devenue exigible. »[12]

 

  •         Qu’en est-il en cas de faillite ou de réorganisation judiciaire de l’entrepreneur principal ?

Le sous-traitant ne peut plus introduire l’action directe après la faillite de l’entrepreneur dans la mesure où la créance de celui-ci envers le pouvoir adjudicateur n’est plus disponible dans le patrimoine de l’entrepreneur[13].

Précisons qu’en revanche, en ce qui concerne la procédure de réorganisation judiciaire, l’article XX.53 du Code de droit économique précise, en son dernier alinéa, que : « L'action directe instituée par l'article 1798 du Code civil n'est pas entravée par le jugement qui a déclaré ouverte la réorganisation judiciaire de l'entrepreneur, ni par les décisions ultérieures prises par le tribunal au cours de celle-ci ou prises par application de l'article XX.84, § 2. »

 

  •         Quid en cas de concours d’actions directes ? 

L’on vise ici la situation où plusieurs sous-traitants sont intervenus sur le chantier confié par le pouvoir adjudicateur à l’entrepreneur. Il peut, dans ce cas, arriver que plusieurs sous-traitants introduisent chacun une action directe et que le montant de l’ensemble des créances-causes dépasse celui de la créance-assiette. L’on rappelle que le pouvoir adjudicateur ne saurait être tenu de verser aux sous-traitants un montant supérieur à celui qu’il doit lui-même à l’entrepreneur. Dans un tel cas, il y aura lieu de procéder à une répartition « au marc le franc » entre les titulaires de l’action directe, c’est-à-dire une répartition en proportion de la créance de chacun. L’ordre dans lequel les actions directes ont été introduites est donc indifférent à cet égard.[14]

 

  •         En pratique, comment réagir en tant que pouvoir adjudicateur face à une action directe ?

L’on rappelle que l’exercice d’une action directe entraîne l’indisponibilité de la créance que détient l’entrepreneur à l’égard du pouvoir adjudicateur. Ce dernier se gardera donc d’ignorer l’action directe et de payer directement son adjudicataire. En outre, l’on conseille au pouvoir adjudicateur d’interroger l’entrepreneur sur l’existence de la créance-cause du sous-traitant, sur son exigibilité, et sur les éventuelles exceptions que l’entrepreneur pourrait y opposer. En effet, l’on restera attentif à l’adage « qui paie mal paie deux fois ».

En cas de désaccord entre les parties, nous conseillons au pouvoir adjudicateur de faire usage de la faculté prévue au dernier alinéa de l’article 1798 du Code civil jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé ou qu’une solution judiciaire soit apportée au litige. Cette disposition prévoit que : « En cas de désaccord entre le sous-traitant et l'entrepreneur, le maître de l'ouvrage peut consigner les sommes dues à la Caisse des dépôts et consignations ou sur un compte bloqué au nom de l'entrepreneur et du sous-traitant auprès d'un établissement financier. Le maître de l'ouvrage y est tenu si l'entrepreneur principal ou le sous-traitant l'y invite par écrit. »

Bien entendu, les cas de figure sont multiples et il est nécessaire de préciser qu’une analyse au cas par cas est indispensable.

 

  •         Quelques illustrations chiffrées

-        Le pouvoir adjudicateur ne paiera directement le sous-traitant qu’à concurrence de ce qu’il doit lui-même à l’adjudicataire

  • Exemple numéro 1:
    • Créance-assiette : 0 € car le pouvoir adjudicateur a payé le dernier état d’avancement avant l'introduction de l'action directe
    • Créance-cause : 5.000 € (principal)
    • Paiement par le pouvoir adjudicateur au sous-traitant : 0 €
  • Exemple numéro 2:
    • Créance-assiette : 3.000 € 
    • Créance-cause : 5.000 €
    • Paiement par le pouvoir adjudicateur au sous-traitant : 3.000 €
  • Exemple numéro 3:
    • Créance-assiette : 3.000 € (principal) et 200 € d'intérêts de retard (accessoire)
    • Créance-cause : 5.000 €
    • Paiement par le pouvoir adjudicateur au sous-traitant : 3.200 €
  • Exemple numéro 4 :
    • Créance-assiette : 3.000 €
    • Créance-cause : 5.000 €
    • Obligation de retenue pour dettes sociales/fiscales: 500 €
    • Paiement par le pouvoir adjudicateur au sous-traitant : 2.500 €  

 

-        Le pouvoir adjudicateur pourra opposer au sous-traitant ce qu’il pourrait opposer à l’adjudicataire (exceptions ayant une cause antérieure à l'action)

  • Exemple numéro 5:
    • Créance-assiette : 3.000 € mais amendes pour retard/malfaçons : 300 € 
    • Créance-cause : 3.000 €
    • Paiement par le pouvoir adjudicateur au sous-traitant : 2.700 €

 

-        Le pouvoir adjudicateur pourra opposer au sous-traitant ce que l’entrepreneur pourrait opposer au sous-traitant

  • Exemple numéro 6:
    • Créance-assiette : 3.000 €
    • Créance-cause : 3.000 € mais malfaçons du sous-traitant : 300 €
    • Paiement par le pouvoir ajdudicateur au sous-traitant : 2.700 €

 


[1] P. WERY, Droit des obligations, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 745.

[2] Ne sont pas qualifiés de contrats de sous-traitance les contrats de fourniture de matériaux, de location de matériels, les contrats de travail. « On ne pourrait pas non plus qualifier de sous-traitant la société tierce qui intervient dans le cadre du chantier principal afin d’opérer la réfection des dégâts qui sont imputables à l’entrepreneur défaillant (par exemple, en cas d’application de la faculté de remplacement). » voy. Germain, J.-F. et Stroobant, P., « II - Pluralité des parties » in Les obligations et les moyens d'action en droit de la construction, 1e édition, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 54

[3] Une créance est certaine lorsqu’elle n’est pas – ou ne saurait sérieusement être – contestée. Une créance est exigible lorsque le paiement peut être exigé par le créancier (tous les délais de paiement sont arrivés à échéance). Une créance est liquide lorsqu’elle est déterminée ou déterminable quant à son montant.

[4] Cass., 21 déc. 2001, Pas., 2001, p. 2207

[5] Cass., 22 mars 2002, Res et jura imm., 2002, p. 129

[6] Germain, J.-F. et Stroobant, P., op. cit., p. 58

[7] Ibidem.

[8] Dessard, D., « Contrat d'entreprise de construction », Rép. not., T. IX, Contrats divers, Livre 8, Bruxelles, Larcier, 2015, n° 134, p.p. 161-162 ; Cass., 21. Déc. 2001, Pas., 2001, p. 2207 ; Bruxelles, 18 mars 2010, Entr. et dr., 2011, p. 70.

[9] Concernant l’exception d’inexécution, la condition d’antériorité est nuancée. « L’exception d’inexécution fondée sur l’interdépendance des obligations réciproques des parties est inhérente à la nature du contrat synallagmatique, en sorte qu’elle préexiste à l’inexécution elle-même. » (Cass., 25 mars 2005, Arr. Cass., 2005, p. 712.)

[10] Germain, J.-F. et Stroobant, P., op. cit., p. 71, citant O. JAUNIAUX, « L’action directe du sous-traitant – Entre éclaircies et brouillard persistant », R.G.D.C., 2006, p. 262.

[11] Germain, J.-F. et Stroobant, P., op. cit., p. 66

[12] Ibidem., citant L.-O. HENROTTE et A. CRUQUENAIRE, « L’article 1798 du Code civil : une action aux voies détournées », in Droit de la construction, Liège, CUP, Anthemis, 2011, p. 135 et les références citées.

[13] Vlassembrouck, F. et Laghmiche, Y., « Faillite, réorganisation judiciaire et action directe du sous-traitant dans les marchés publics » in Jaarboek Overheidsopdrachten 2020-2021 / Chronique des Marchés Publics 2020-2021, 1e édition, Bruxelles, EBP Consulting, 2021, p. 996 ; Cass., 27 mai 2004, R.W., 2003-2004, p. 1723  

[14] Germain, J.-F. et Stroobant, P., op. cit., p.70

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Date de mise en ligne
10 Décembre 2021

Type de contenu

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