Les maisons de repos et/ou de maisons de repos et de soins peuvent-elles être considérées comme dispensateurs de soins de santé et bénéficier de règles plus favorables en matière de délai de paiement (ou traitement) ?
Notre CPAS dispose d’une ou de plusieurs maisons de repos et/ou de maisons de repos et de soins dont les besoins nécessitent la passation de marchés publics propres. Peuvent-elles être considérées comme dispensateurs de soins de santé et bénéficier de règles plus favorables en matière de délai de paiement (ou traitement) ?
Depuis la réforme des délais de paiement (dits « délais de traitement » désormais), les pouvoirs adjudicateurs doivent payer de manière plus rapide, peu importe que les démarches imposées en matière budgétaire, comptable et de contrôle interne prennent un temps certain et ce pour préserver l’argent public. Le lecteur intéressé se référera utilement à notre précédente publication visant à aider nos membres à accélérer le paiement.
Si la règle est désormais celle d’un délai de traitement uniquement de 30 jours (et non plus 30 jours de vérification et 30 jours de paiement), il existe des exceptions dont celle en faveur des « adjudicateurs qui dispensent des soins de santé ». En effet, les articles 95, § 3, al. 2 (en travaux), 127, al. 2 (en fournitures) et 160, al. 2 de l’arrêté royal établissant les règles générales d’exécution des marchés publics du 14 janvier 2013[1] précisent : « Le délai de traitement (…) est de soixante jours pour les marchés passés par des adjudicateurs qui dispensent des soins de santé, uniquement pour les travaux/fournitures/services relatifs à l'exercice de cette activité, et qui sont dûment reconnus à cette fin ».
Lesdites dispositions prévoient trois conditions :
- Etre un adjudicateur qui dispense des soins de santé ;
- Uniquement pour les travaux/fournitures/services relatifs à l'exercice de cette activité ;
- Être un adjudicateur dûment reconnu à cette fin.
La prise en compte de la réalité de certains adjudicateurs ne date pas d’hier mais est bien antérieure. Examinons l’intention du pouvoir réglementaire et du législateur européen.
Tout d'abord, le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 12 août 2024 modifiant l’arrêté royal RGE indique ceci:
« Cette possibilité d'exemption pour les établissements du secteur des soins de santé a été insérée dans la directive 2011/7/UE car les retards de paiement dans ledit secteur (dus aux patients) étaient particulièrement préoccupants dans un certain nombre d'Etats membres. A cet égard, les établissements de soins de santé sont souvent obligés de concilier besoins des individus et ressources financières disponibles. Le secteur des soins de santé est confronté à la nécessité de fixer des priorités parmi les soins de santé, de manière à établir un équilibre entre les besoins des patients individuels et les ressources financières disponibles. Il convient que les Etats membres aient la possibilité d'accorder au secteur des soins de santé une certaine souplesse afin que les établissements dispensant des soins de santé puissent accomplir leurs obligations.
Lors de la transposition initiale de la directive 2011/7/UE, l'exposé des motifs de la loi modifiant la loi relative au retard de paiement a motivé cette exemption comme suit :"...Les hôpitaux et les maisons de soins sont en effet confrontés à des difficultés au niveau de la perception des fonds avec lesquels ils doivent à leur tour payer leurs fournisseurs. Un délai de paiement trop strict et trop court pourrait engendrer des problèmes de "cashflow" pour les hôpitaux. Ceux-ci reçoivent une partie substantielle des budgets via l'assurance maladie. Les patients assurés doivent uniquement payer le ticket modérateur aux hôpitaux. Le reste de la facture d'hôpital est à la charge de l'assurance maladie, mais n'est remboursé à l'hôpital concerné que 2 à 3 mois plus tard en moyenne. Il faut également tenir compte de la règle de la facture unique en ce qui concerne les budgets que les établissements de soins retirent de la partie des frais devant être supportés par le patient même. Cette règle implique qu'on ne peut envoyer au patient qu'une seule facture. En toute logique, cette facture ne peut être établie qu'à la fin de l'hospitalisation, ce qui pose problème si le patient a été hospitalisé pour une longue période. Les établissements de soins remplissent une mission d'intérêt général importante. Si ces établissements étaient confrontés à des problèmes financiers, les conséquences pourraient être très graves. Une plus grande flexibilité pour répondre à leurs obligations financières peut être un outil important pour assurer la santé financière des établissements de soins. En outre, les établissements de soins belges dépendent dans une large mesure d'autres acteurs pour recevoir les budgets nécessaires au paiement de leurs propres fournisseurs. Dans cette optique également, il semble opportun de prévoir la flexibilité nécessaire. " (DOC 53 2927/001).
Cette motivation est toujours d'actualité. Le système complexe de paiement et de subventionnement des acteurs du secteur des soins de santé n'a pas été fondamentalement modifié. Par conséquent, les adjudicateurs dispensant des soins de santé ont toujours intérêt à bénéficier d'une certaine flexibilité, en ce qui concerne notre pays. Il a été jugé que l'objectif ne pouvait être que les établissements de soins de santé rencontrent des problèmes de cash-flow en raison d'une approche trop stricte du délai de traitement prévu dans la législation relative aux marchés publics. Par ailleurs, il convient de noter que le SPF Stratégie & Appui a examiné les données de paiement des adjudicateurs belges pour la période allant du 1er juillet 2023 au 31 décembre 2023. Le délai de paiement moyen pour les hôpitaux au cours de la période examinée était de 58 jours. Pour les autorités fédérales, wallonnes, bruxelloises et flamandes, le délai moyen était plus court (14 pour être précis en ce qui concerne la moyenne globale). Nous pouvons en conclure que les acteurs des soins de santé ont besoin de plus de temps pour payer leurs factures. Les hôpitaux respectent toutefois le délai de paiement actuel de 60 jours. Pour les autorités, le risque de problèmes de cash-flow ne se présentera pas de manière aussi pertinente que pour les hôpitaux. Sur ce point, les adjudicateurs concernés ne semblent pas se trouver dans la même situation. En ce qui concerne les hôpitaux, les données susmentionnées ont été collectées au moyen d'une enquête réalisée auprès des différents hôpitaux. Pour la période concernée, l'autorité fédérale a reçu une réponse de 29 des 38 hôpitaux".
En ce qui concerne la dérogation, le même rapport au Roi dit encore:
« Rappelons que le but recherché n'est pas que les adjudicateurs dispensant des soins de santé utilisent cette possibilité de dérogation pour tous les marchés qu'ils lancent. Ils doivent non seulement satisfaire aux quatre conditions susvisées de façon cumulative, mais, de surcroît, ils ne peuvent déroger à la règle générale du délai de traitement que pour les marchés liés à leur activité spécifique (pour l'achat de PC à des fins administratives, par exemple, il sera impossible de déroger au délai de traitement, sauf dans les cas prévus à l'article 2, § 2) ».
Le rapport au Roi précédant l’arrêté royal RGE qui a initialement prévu les délais de paiement disait :
« En ce qui concerne les pouvoirs adjudicateurs qui dispensent des soins de santé, il peut être renvoyé à l'article 2, n) de la loi coordonnée du 14 juillet 2004 [lire : 1994] relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités qui définit la notion de dispensateur de soins comme suit : " les praticiens de l'art de guérir, (les kinésithérapeutes, les praticiens de l'art infirmier,) les auxiliaires paramédicaux, les établissements hospitaliers, les établissements de rééducation fonctionnelle et de réadaptation professionnelle et les autres services et institutions; sont assimilées aux dispensateurs de soins pour l'application des articles 73bis et 142, les personnes physiques ou morales qui les emploient, qui organisent la dispensation des soins ou la perception des sommes dues par l'assurance soins de santé. " ».
Dans la loi du 14 juillet 1994, la notion de prestataire de soins a été remplacée par celle de "dispensateur de soins". L'article 2, n) de ce texte le définit comme "les praticiens de l'art de guérir, les kinésithérapeutes, les praticiens de l'art infirmier, les auxiliaires paramédicaux, les établissements hospitaliers, les établissements de rééducation fonctionnelle et de réadaptation professionnelle et les autres services et institutions".
Tant les maisons de repos que les maisons de repos et de soins sont à considérer comme "autres institutions" dans le cadre de l’assurance maladie-invalidité. Elles apparaissent en effet explicitement dans la liste de ceux qui, au terme de l'article 34 de la loi du 14 juillet 1994, fournissent des prestations de soins de santé. Cet article précise en effet que:
"Les prestations de santé portent tant sur les soins préventifs que sur les soins curatifs. Elles comprennent (…):
11° Les prestations qui sont fournies par des maisons de repos et de soins, des maisons de soins psychiatriques et des centres de soins de jour, agréés par l'autorité compétente, ainsi que les prestations qui sont fournies par des services ou des institutions agréés en application de l'article 5 de la loi du 27 juin 1978 modifiant la législation sur les hôpitaux et relative à certaines autres formes de dispensation de soins;
12° Les prestations qui sont fournies par des maisons de repos pour personnes âgées, agréées par l'autorité compétente et les prestations qui sont dispensées par des institutions qui, sans être agréées comme maisons de repos, constituent le domicile ou la résidence commune des personnes âgées, et qui répondent aux conditions fixées par le Roi;
(…)".
Au regard de ces (longs) développements, il est acquis que les maisons de repos et les maisons de repos et de soins sont des adjudicateurs qui dispensent des soins de santé dûment reconnus à cette fin (conditions 1 et 3). Elles peuvent donc bénéficier des délais de traitement de 60 jours… uniquement pour les marchés relatifs l’exercice de cette activité (condition 2) ! Malgré nos recherches, nous n’avons trouvé ni jurisprudence ni doctrine illustrant le périmètre de l’activité de dispense de soins.
Et, à la lecture de la motivation ayant poussé le législateur européen puis le pouvoir réglementaire belge, l’on comprend mal en quoi les difficultés de trésorerie disparaissent lorsqu’il s’agit de payer des adjudicataires en dehors de l’activité de dispense de soins… Cette condition a été ajoutée par le pouvoir réglementaire belge car elle n’est pas présente dans la réglementation européenne, ce qui suscite des questionnements en termes de discrimination[2].
Quel(s) marché(s) répondent à la deuxième condition, celle relative à l’exercice de l’activité de soins de santé ?
Tout d’abord, il faut constater que certains marchés des maisons de repos (et de soins) visent à confier la prestation de services médicaux ou infirmiers (médecin coordinateur-conseiller ou mise à disposition de personnel infirmier). Ces marchés ne sont toutefois pas concernés par l’arrêté royal RGE[3] que nous examinons. En effet, sans préjudice de la possibilité de rendre certains articles de cet arrêté applicables[4], les articles 95, 127 et 160 de celui-ci ne leur sont pas applicables et ces marchés tombent sous le coup de dispositions (à la portée légèrement différente !) contenues dans la loi du 2 août 2002[5].
Ensuite, d’autres marchés visent à fournir en matériel de soins les maisons de repos (et de soins) et nous paraissent rentrer dans l’activité de soins. Sans ce matériel, le soin n’est directement pas possible. Cela étant, malgré nos recherches, nous n’avons pu trouver de la jurisprudence confirmant ou infirmant cette position.
Enfin, d’autres marchés encore participent au bien-être et donc à la santé des résidents (animations socio-culturelles, nettoyage des locaux, restauration par exemple) mais il ne nous semble pas certain que le délai de traitement allongé à 60 jours puisse s’appliquer en pareils cas.
Nous avons constaté, en parcourant les documents de marché publiés sur la plateforme e-Procurement, que certains pouvoirs adjudicateurs (non locaux) faisaient usage du délai allongé pour des marchés divers et variés (par exemple : accord-cadre de coordination sécurité-santé, téléphonie fixe et mobile ou encore de travaux de techniques spéciales).
En cas d’application erronée du délai de 60 jours au lieu de celui de 30 jours, le risque financier est important. En effet, prévoir un délai de traitement de 60 jours, sans tomber dans l’exception précisée ci-dessus et sans respecter les conditions d’une éventuelle dérogation[6], constitue une dérogation non admise aux RGE. Cette dérogation devra être réputée non écrite et le délai de 30 jours s’appliquera par défaut. Des intérêts de retard élevés et des frais de recouvrement pourraient être réclamés[7].
Il est à noter que l’Union européenne entend supprimer « l'extension actuelle des délais de paiement à 60 jours pour les entités publiques dispensant des soins de santé » [8].
[1] Ci-après « arrêté royal RGE ».
[2] Considérant 25 et art. 4, § 4, b) de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16.2.2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, J.O.U.E., 23.2.2011.
[3] Art. 6, § 1, 1° de l’AR RGE.
[4] Art. 6, § 5 de l’AR RGE.
[5] Art. 4, § 2, al. 3 de la loi du 2.8.2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, M.B., 7.8.2002 : « Par dérogation à l'alinéa 1er et sans que les parties puissent convenir d'un délai de paiement plus long, le délai de paiement s'élève à soixante jours civils pour les entités dispensant des soins de santé, qui sont reconnues par les autorités visées aux articles 128, 130, 135 et 138 de la Constitution » (nous soulignons).
[6] Art. 9, § 2 de l’AR RGE.
[7] Art. 69 de l’AR RGE.
[8] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_23_4412
Marchés publics : Marie-Laure Van Rillaer - Elodie Bavay - Mathieu Lambert
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