En cas de défaut d’exécution de l’adjudicataire, peut-on résilier unilatéralement un marché public auquel les RGE ne sont pas applicables ?
L’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics (RGE) est en principe applicable aux marchés dont le montant estimé atteint au moins 30.000 euros htva (art. 5, al. 2). Il prévoit notamment qu’en cas de défaut d’exécution, le pouvoir adjudicateur doit dresser un procès-verbal et le notifier à l’adjudicataire (art. 44). En cas de manquement(s) grave(s), l’adjudicataire peut se voir appliquer des mesures d’office, dont la résiliation unilatérale du marché (art. 47).
Les RGE ne sont donc en principe pas applicables aux marchés dont le montant estimé est inférieur à 30.000 euros htva, notamment les marchés de faible montant visés par l’article 92 de la loi du 17 juin 2016 (cela dit, c’est bien le montant estimé qui conditionne leur application, pas la procédure de passation retenue).
Il en va de même de toute une série d’autres marchés (art. 6, § 1er), par exemple les services d’assurances, certains services sociaux et autres services spécifiques, ou encore les services de réviseur d’entreprise.
A noter que le pouvoir adjudicateur peut néanmoins rendre les RGE applicables à un marché auquel elles ne le sont en principe pas (art. 6, § 5).
Quels sont dès lors les moyens d’action du pouvoir adjudicateur lorsqu’il constate des manquements graves dans le chef de l’adjudicataire d’un marché auquel les RGE ne sont pas applicables ? Peut-il résilier unilatéralement le marché ?
Avant l’entrée en vigueur du livre 5 « Les obligations » du « nouveau » Code civil, le pouvoir adjudicateur n’avait en principe d’autre choix que de réclamer en justice la résolution du marché, sans préjudice de l’exception d’inexécution (il n’allait bien évidemment pas payer ce qui n’avait pas été exécuté correctement) et sauf à quand même résilier unilatéralement le marché en s’appuyant sur l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard[1] (et en comptant sur le fait que l’adjudicataire, en défaut grave d’exécution, n’allait pas oser réclamer en justice la poursuite de l’exécution du marché).
Conformément à l’article 1.1 du « nouveau » Code civil (livre 1er « Dispositions générales » entré en vigueur le 1.1.2023), celui-ci « régit le droit civil, et plus largement le droit privé. Il s'applique en toutes matières, sous réserve des règles propres à l'exercice de la puissance publique ». Certes, il est question en l’occurrence de marchés publics, mais auxquels les règles qui leur sont propres – et qui témoignent de l’imperium des pouvoirs adjudicateurs – ne sont pas applicables.
Le livre 5 « Les obligations » du « nouveau » Code civil, introduit par la loi du 28 avril 2022 (M.B., 1.7.2022), est entré en vigueur le 1er janvier 2023, pour les actes juridiques et les faits juridiques survenus après cette date. Néanmoins, sauf accord contraire des parties, le livre 5 ne s'applique pas et les règles antérieures demeurent applicables : 1° aux effets futurs des actes juridiques et faits juridiques survenus avant l'entrée en vigueur du livre 5 ; 2° aux actes juridiques et aux faits juridiques survenus après l'entrée en vigueur du livre 5, qui se rapportent à une obligation née d'un acte juridique ou d'un fait juridique survenu avant celle-ci. D’anciens marchés pourraient donc ne pas être soumis aux nouvelles règles du livre 5.
Conformément à l’article 5.225 « Définition de l’imputabilité », « l'inexécution n'est imputable au débiteur que si une faute peut lui être reprochée ou s'il doit en répondre en vertu de la loi ou d'un acte juridique ».
Et l’article 5.83 de prévoir, sous le titre « Enumération des sanctions » : « Sauf volonté contraire des parties, le créancier dispose des sanctions suivantes en cas d'inexécution imputable au débiteur : [notamment] le droit à la résolution du contrat […]. La mise en œuvre des sanctions […] doit être précédée d'une mise en demeure, conformément aux articles 5.231 à 5.233. »
L’article 5.231, al. 3, ajoute que « la bonne foi [peut] exiger que le créancier accorde au débiteur un délai afin qu'il exécute l'obligation en souffrance ».
On notera aussi qu’aucune exigence de forme n’est attachée à la mise en demeure : « [Elle] doit être notifiée au débiteur pour sortir ses effets. La mise en demeure doit lui être communiquée de façon telle qu’il puisse en prendre connaissance. Elle peut émaner du créancier ou d’un représentant de celui-ci et être adressée au débiteur ou à son représentant. Aucune exigence de forme n’est imposée, ni au rang des conditions de validité ni comme condition probatoire. Le recours à l’exploit d’huissier, à la lettre recommandée, etc., n’est donc pas obligatoire, sauf dispositions légales ou contractuelles contraires. »[2] Aussi, conformément à l’article 8.10, « la preuve d'un acte juridique unilatéral peut être rapportée par tous modes de preuve ».
L’article 5.233 précise enfin que « la mise en demeure n'est pas requise lorsqu'elle ne présente plus d'utilité ». S’ensuit une liste exemplative, notamment « lorsque le débiteur fait savoir qu'il n'exécutera pas son obligation ».
Et c’est donc la nouveauté apportée par le livre 5 (art. 5.93 « Résolution par notification du créancier ») : « Après avoir pris les mesures utiles pour établir l'inexécution du débiteur, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par une notification écrite au débiteur. Celle-ci indique les manquements qui lui sont reprochés. »
L’unilatéralisme des sanctions est en effet devenu une nécessité pratique, sa consécration résultant d’une volonté claire du législateur : « L’arriéré judiciaire conjugué à l’obligation lourde et coûteuse, à défaut de clause contraire ou de circonstances exceptionnelles, de porter toute demande en résolution d’un contrat […] devant les cours et tribunaux créaient de véritables impasses. […] Désormais, la partie qui entend […] invoquer la résolution du contrat ne doit plus attendre l’issue d’une procédure judiciaire pour se délier de ce dernier. »[3]
Une telle résolution unilatérale ne marque cependant pas nécessairement la fin du différend opposant le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire. Comme l’indique l’article 5.93, c’est bien « à ses risques et périls » que le pouvoir adjudicateur prend une telle décision. Sous le titre « Résolution non judiciaire irrégulière ou abusive », l’article 5.94 ajoute d’ailleurs : « La notification par laquelle le créancier résout le contrat est inefficace si les conditions de la résolution ne sont pas remplies ou si elle est abusive. » Il n’est donc bien sûr pas exclu que l’adjudicataire conteste en justice la résolution, tant sur le fond que sur la forme.
La résolution opère en principe avec effet rétroactif (art. 5.95, al. 1er, 1ère phrase) : « La résolution prive le contrat d'effets depuis la date de sa conclusion. » Il s’ensuit des restitutions réciproques, dans les conditions prévues aux articles 5.115 à 5.122 (al. 2), afin de revenir dans la situation immédiatement antérieure au début de l’exécution du contrat. Par exemple, en cas d’achat d’un (petit) véhicule, si celui-ci ne répond pas aux prescriptions du pouvoir adjudicateur sur l’un ou l’autre élément important, le pouvoir adjudicateur pourra être amené à résoudre unilatéralement le marché et restituer le véhicule, l’adjudicataire procédant au remboursement du prix payé (si cela avait déjà été le cas).
Mais l’article 5.95, al. 1er, ajoute (2e phrase) : « Toutefois, [la résolution] ne rétroagit qu'à la date du manquement qui y a donné lieu pour autant que le contrat soit divisible dans l'intention des parties, eu égard à sa nature et à sa portée. » Le législateur a ainsi consacré la divisibilité matérielle et/ou temporelle du contrat, de sorte que, par exemple, l’exécution correcte d’un marché à prestations successives, antérieure à la survenance d’un manquement suffisamment grave pour donner lieu à une résolution unilatérale, n’est pas remise en cause par celle-ci[4].
En résumé, les conditions à réunir pour procéder à une résolution unilatérale d’un marché public auquel les RGE ne sont pas applicables, sont les suivantes[5] :
- une inexécution contractuelle imputable au débiteur, constitutive d’un manquement grave ;
- le constat de ce défaut d’exécution et de sa gravité ;
- une mise en demeure de s’exécuter conformément aux conditions du marché ;
- et une notification écrite et motivée de l’application de la résolution unilatérale.
En cela, on constate que le pouvoir adjudicateur est finalement dans une situation très similaire à celle de l’application des RGE : manquement grave imputable à l’adjudicataire, procès-verbal et mise en demeure de s’exécuter (art. 44), décision motivée de résilier unilatéralement et notification de celle-ci (art. 47).
[1] Cass., 23.5.2019, J.T., 2020, p. 26 et note S. Stijns et P. Wéry.
[2] Fl. George, P. Colson, A. Cataldo, B. Fosséprez, Manuel de droit des obligations : théorie du contrat et régime général de l’obligation, Bruxelles, Larcier-Intersientia, 2024, n° 354, p. 409.
[3] Ibid., n° 461, p. 524.
[4] Ibid., n° 457, pp. 521-522.
[5] Ibid., n° 492, p. 550.
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