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Mis en ligne le 21 Juin 2021

Par cet arrêt du 17 juin 2021[1], la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) confirme sa jurisprudence exprimée dans un arrêt du 19 décembre 2018[2].

Pour rappel, dans l'arrêt rendu en 2018, la CJUE se prononçait sur la faculté pour un pouvoir adjudicateur d’agir pour son compte et pour celui d’autres pouvoirs adjudicateurs clairement désignés qui ne sont cependant pas directement parties à un accord-cadre et sur la possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs non signataires de l’accord-cadre de ne pas déterminer le volume des prestations qui pourra être requis lorsqu’ils concluront des marchés subséquents. Sur ce second point, la CJUE avait considéré, au regard de la directive 2004/18[3], que le pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre devait impérativement préciser le volume global dans lequel pourront s’inscrire les marchés subséquents. La Cour a précisé : « les marchés fondés sur cet accord-cadre doivent être attribués dans les limites des termes fixés par celui-ci. Il s’ensuit que le pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre ne saurait s’engager, pour son propre compte et pour celui des pouvoirs adjudicateurs potentiels qui sont clairement désignés dans cet accord, que dans la limite d’un certain volume et qu’une fois que cette limite aura été atteinte, ledit accord aura épuisé ses effets. »

Cet arrêt a remis en question la pratique admise en Belgique consistant à considérer que le « simple jeu des quantités présumées » ne constitue pas une modification du marché. L’article 81 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013[4] (ci-après AR RGE) distingue d’ailleurs clairement, en ce qui concerne les marchés de travaux, le jeu des quantités présumées et les modifications qui sont, elles, définies comme « toute adaptation des conditions contractuelles du marché, du concours ou de l’accord-cadre en cours d’exécution » par l’article 2, 24° de l’AR RGE. La règlementation belge actuelle permet, ainsi, un dépassement – même important – des quantités présumées, sans que le marché ne soit considéré comme modifié ou comme ayant épuisé ses effets.

Postérieurement à cet arrêt de la CJUE, le Conseil d’Etat belge a rendu un arrêt[5] dont on peut s’interroger sur sa compatibilité avec l’enseignement de la jurisprudence de la CJUE. Le Conseil d’Etat se prononce dans le cadre d’un recours en suspension contre l’attribution d’un accord-cadre de la Région wallonne agissant comme centrale d’achat. Le requérant reprochait notamment au pouvoir adjudicateur de ne pas avoir indiqué de quantités maximales. Le Conseil d’Etat analyse : « Certes, les documents du marché ne renseignent pas le volume et le montant maximaux des prestations couvertes par l’accord-cadre. Ceci étant, le fait de recourir à un marché à bordereau de prix – dans lesquels les prix unitaires sont forfaitaires – et la mention, pour chaque poste, des quantités présumées ou de sommes à réserver, paraît prima facie suffire. (…) La requérante n’indique, en tout cas, pas concrètement en quoi l’absence de mention des valeur et quantité maximales du marché l’aurait préjudiciée. »

Le 17 juin 2021, la CJUE rend un nouvel arrêt confirmant la jurisprudence européenne évoquée plus haut. Dans une affaire relative à un accord-cadre lancé par des Régions danoises dont l’attribution est contestée par un soumissionnaire non retenu, la CJUE se prononce, notamment, sur l’obligation qu’aurait le pouvoir adjudicateur d’indiquer dans l’avis de marché ou le cahier spécial des charges une quantité maximale et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre, de sorte que l’accord-cadre en question aurait épuisé ses effets lorsque cette limite serait atteinte.

La CJUE va considérer, notamment au regard des principes d’égalité de traitement et de transparence énoncés à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24[6] que l’avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre et qu’une fois que cette limite aura été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets.

La Cour s’appuie sur les considérations suivantes (points 54 à 74 de l’arrêt) :

- L’article 5, par. 5 de la directive 2014/24, relatif aux méthodes de calcul de la valeur estimée du marché, prévoit que pour les accords-cadres la valeur à prendre en considération est la valeur maximale estimée hors TVA de l’ensemble des marchés publics envisagés pendant la durée totale de l’accord-cadre. Le pouvoir adjudicateur peut donc communiquer cette valeur aux soumissionnaires ;

- Le pouvoir adjudicateur doit, au titre des informations devant figurer dans les avis de marché, décrire le marché et, à ce titre, indiquer la quantité ou la valeur des fournitures qui seront couvertes par l’accord-cadre pris dans sa globalité. Or, il ne peut se conformer à cette obligation sans indiquer, à tout le moins, une quantité et/ou une valeur maximale de ces fournitures ;

- Les principes fondamentaux du droit de l’Union tels que l’égalité de traitement et la transparence sont applicables lors de la conclusion d’un accord-cadre. Ces principes seraient affectés si le pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre n’indiquait pas la valeur ou la quantité  maximale sur laquelle porte un tel accord. En effet, c’est d’abord sur la base de cette estimation qu’un soumissionnaire sera en mesure d’apprécier sa capacité à exécuter les obligations découlant de cet accord-cadre ;

- Toujours au regard des principes d’égalité de traitement et de transparence, la Cour considère que si la valeur ou la quantité maximale estimée sur laquelle porte un accord-cadre n’est pas indiquée ou si une telle indication ne présentait pas un caractère juridiquement contraignant, le pouvoir adjudicateur pourrait s’en affranchir. Or, la responsabilité contractuelle de l’adjudicataire pourrait être ensuite mise en cause pour défaut d’exécution de l’accord-cadre s’il ne parvenait pas à fournir les quantités demandées par le pouvoir adjudicateur, quand bien même celles-ci excéderaient la quantité maximale dans l’avis de marché ;

- L’absence de caractère contraignant à la quantité ou valeur maximale estimée de l’accord-cadre priverait d’effet utile la règle posée à l’article 33, par. 2, al. 3 de la directive 2014/24 selon laquelle les marchés fondés sur l’accord-cadre ne peuvent en aucun cas entraîner des modifications substantielles des termes fixés dans ledit accord-cadre. Cela risquerait également d’entraîner une utilisation abusive de l’accord-cadre.

 

Quelle attitude adopter face à ce nouvel arrêt ?

A l’heure actuelle, tant la règlementation belge que la jurisprudence du Conseil d’Etat admettent que les quantités réelles d’un accord-cadre puissent varier à la hausse par rapport aux quantités initialement présumées, sans qu’un maximum ne doive être fixé à cet égard. L’on peut s’interroger sur une future évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat à la suite de cet arrêt de la CJUE.

La conclusion claire de la CJUE invite à la prudence. Nous conseillons, dès lors, à nos membres d’estimer le plus justement possible les quantités présumées de leurs accords-cadres. Afin de se conformer à la jurisprudence de la CJUE, ces quantités deviendraient un maximum et, une fois atteintes, épuiseraient les effets de l’accord-cadre. Cela étant, en cas de nécessité de dépasser les quantités initialement présumées, le pouvoir adjudicateur pourrait, à notre estime, modifier l’accord-cadre dans les limites, bien entendu, des hypothèses des modification visées aux articles 38/1 et suivants de l’AR RGE.

Par ailleurs, la pratique de certains pouvoirs adjudicateurs – déjà condamnée par le Conseil d’Etat[7] – consistant à n’indiquer aucune quantité présumée dans l’inventaire d’un marché à bordereau de prix et de comparer les offres sur la base des prix unitaires doit définitivement être abandonnée.

Enfin, soulignons que ces deux arrêts ne concernent que l’accord-cadre, c’est-à-dire « l'accord entre un ou plusieurs adjudicateurs et un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d'établir les termes régissant les marchés à passer au cours d'une période donnée » (article 2, 35° loi du 17.06.2016). En d’autres termes, les cas de jurisprudence évoqués concernent uniquement les marchés dans lesquels l’adjudicateur passe commande au fur et à mesure de ses besoins, pendant toute la durée du marché. Cela ne concerne a priori pas, à notre estime, un poste à bordereau de prix dans un marché « ponctuel ». A tout le moins, la CJUE ne s’est pas encore prononcé sur cette question. Ainsi, dans le cadre d’un chantier par exemple, les quantités présumées d’un poste à bordereau de prix pourront toujours être dépassées en cas de besoin, nous semble-t-il.

 


[1] CJUE, 17 juin 2021, C-23/20, Simonsen & Weel A/S contre Region Nordjylland og Region Syddanmark

[2] CJUE, 19 décembre 2018, C-216/17, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – Antitrust et Coopservice

[3] Dir. (CE) n°2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, J.O.U.E., L134, du 30 avril 2004, p. 114

[4] Arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d'exécution des marchés publics

[5] CE, 11 décembre 2020, n°249.203

[6] Dir. (UE) n° 2014/24 du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, J.O.U.E., L94, du 28 mars 2014, p. 65

[7] CE, 2 février 2018, n°240.653 ; voyez l’article de M. Lambert sur le Réseau Marchés publics et PPP sur cette question.  

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Date de mise en ligne
21 Juin 2021

Auteur
Elodie Bavay

Type de contenu

Matière(s)

Marchés publics
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